| Les fortifications de la ville d’Héraklion et le siège de Candie en Crète | |
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| Présentation générale | Les vestiges les plus impressionnants de la présence vénitienne à Héraklion sont les puissants remparts, renforcés par sept bastions, qui entouraient la vieille ville sur près de 5 km, ainsi que la forteresse de la Mer, connue sous le nom de Koulès. Ces fortifications, en grande partie intactes, mettaient en œuvre les conceptions défensives les plus modernes de l’époque et purent soutenir un siège pendant 21 ans, peut-être le plus long siège de l’histoire, contre un ennemi dix fois supérieur en nombre et disposant des armes les plus puissantes du XVIIe siècle. |
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| Les fortifications d’Héraklion | Les anciennes fortifications d’Héraklion sont, dans l’ensemble, bien conservées, malgré des velléités de démolition ; les remparts terrestres sont presqu’intacts à l’exception de quelques bâtiments annexes qui ont été démolis, de même que le fort extérieur Saint-Démétrius ; deux des trois grandes portes de la ville ont assez bien survécu : la Porte du Pantocrator ou de la Panigra, mieux connue aujourd’hui sous le nom de Porte de La Canée (Χανιώπορτα), datant d’environ 1570, à l’extrémité ouest ; et la Porte de Jésus, ou Porte de Kainourgio (Καινούργια Πόρτα), datant d’environ 1587, à l’extrémité sud, ouvrant vers la province de Kainourgio (επαρχία Καινούργιου). Par contre il ne reste presque rien des murailles maritimes, mais la forteresse de Rocca a mare a été restaurée au cours des années 2010 et abrite maintenant un musée d’histoire. Il est possible de longer l’enceinte en automobile en suivant les boulevards qui la bordent. Il est plus intéressant de faire le tour des remparts à pied pour profiter des vues sur la vieille ville que ces monticules artificiels permettent, mais la balade fait plus de 3 km de longueur. La section de remparts la plus facile est sans doute celle comprise entre le bastion Saint-André, à l’ouest, et le bastion Martinengo, à la pointe sud. Cependant, la plupart des murs sont intégrés dans le tissu urbain et il est difficile de suivre tout le périmètre en marchant dans la ville. Les remparts sont suffisamment larges pour que divers terrains de sport y aient été aménagés ; les remparts sont aussi le lieu d’évènements culturels ; l’écrivain crétois Nikos Kazantzakis a le privilège d’avoir sa tombe construite sur le bastion Martinengo. | Circuit de visite des fortifications : Légende : 1 : Fontaine de Morosini. 2 : Place de la Liberté. 3 : Palais de justice régional. 4 : Porte Saint-Georges. 5 : Fontaine de Yenicar Aga. 6 : Musée archéologique. 7 : Porte Sabionara. 8 : Port vénitien - Arsenal. 9 : Forteresse vénitienne de Koulès. 10 : Rue du 25 août. 11 : Église Saint-Tite. 12 : Loggia vénitienne (mairie d’Héraklion). 13 : Basilique Saint-Marc (galerie municipale). 14 : Résidence Chronakis. 15 : Fontaine de Priuli. 16 : Porte de Dermatas. 17 : Musée historique. 18 : Église Saint-Pierre le Martyr. 19 : Muséum d’histoire naturelle. 20 : Éphorat des antiquités byzantines (usine de déchiquetage du tabac). 21 : Église Sainte-Parascève. 22 : Rue de 1866 - Le marché. 23 : Fontaine de Bembo - Fontaine Sebil. 24 : Porte de Jésus. 25 : Tombe de Nikos Kazantzakis. 26 : Stoa Makasi. 27 : Église Saint-Matthieu. 28 : Cathédrale Saint-Ménas. 29 : Église Sainte-Catherine. 30 : Porte de Panigra. |
| Les fortifications byzantines | Des découvertes archéologiques récentes montrent qu’à l’époque hellénistique il existait déjà une petite cité fortifiée, dédiée à Héraclès, à l’emplacement de l’actuelle ville d’Héraklion ; cette cité servait de port annexe de Cnossos, le port principal se trouvant à Amnissos. Sous l’empire romain la ville capitale de la Crète fut transférée à Gortyne ; Héracléion n’était qu’une petite ville portuaire. Au VIIe ou au VIIIe siècle après JC, dans le cadre d’un plan défensif visant à faire face à la menace arabe grandissante, une nouvelle enceinte fut construite par les Byzantins, en utilisant une grande quantité de blocs anciens remployés ; l’enceinte d’Héracléion avait des murailles verticales et des tours rectangulaires et elle était protégée par un fossé ; pour cette raison les Arabes nommaient la ville « Rabd-el-Khandak » (ربض الخندق) (« la forteresse du fossé ») (الخندق signifiant « fossé »). En 824 des Arabes exilés d’Andalousie s’emparèrent de la Crète et la forteresse d’Héracléion fut prise en 828 ; Rabd-el-Khandaq devint la capitale de l’émirat de Crète. Les Arabes renforcèrent l’enceinte à l’aide d’un revêtement extérieur de mortier mélangé avec des poils d’animaux, ce qui a été révélé lors de fouilles récentes. En raison de sa situation stratégique, les Byzantins tentèrent, pendant 135 ans, de reprendre la Crète qui leur barrait l’accès à la Méditerranée et qui servait de base arrière aux pirates arabes qui attaquaient les côtes de l’Égée. Le 6 mars 961, après plusieurs tentatives infructueuses, le général byzantin Nicéphore Phocas libéra la Crète de l’occupation arabe ; Nicéphore (étymologiquement le « porteur de victoire ») deviendra empereur de Byzance en 963 sous le nom de Nicéphore II Phocas (Νικηφόρος Β΄ Φωκάς) (empereur de 963 à 969). Les Byzantins démolirent des parties de l’enceinte pour la remplacer par de nouvelles murailles. La ville conserva son nom arabe de « Khandaq », déformé en « Chandax » (Χάνδαξ) / Chándax), pendant l’époque byzantine moyenne ; elle était également nommée localement le « Grand Château » (Μεγάλο Κάστρο / Megálo Kástro). En 1204, l’Empire byzantin fut disloqué par la IVe croisade : la Crète fut attribuée au commandant de la croisade, Boniface de Montferrat (Bonifacio del Monferrato) (né vers 1150 - mort en 1207), qui la vendit à la République de Venise. La ville de « Chandax » prit le nom de « Candia » et la Crète fut désignée sous le nom de Regno di Candia (« Royaume de Candie »). L’enceinte byzantine de la cité, avec des restaurations et des ajouts, fut suffisante pour la défense de Candie jusqu’à l’invention de la poudre à canon ; cette enceinte est représentée sur des cartes et des dessins du XVe siècle, tels que le croquis du moine florentin Christoforo Buondelmonti, qui visita Candie en 1415. |
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| Les fortifications vénitiennes (Ενετικά τείχη / Enetiká teíchi) | Après la prise de Constantinople, en 1453, la menace ottomane contraignit Venise à concevoir une nouvelle enceinte, résistant à l’utilisation de canons lourds à poudre ; l’ancienne muraille de Candie étaient faite de hauts murs, interrompus par des tours carrées, bordés par un fossé le long duquel ils s’élevaient à la verticale. Cette muraille était parfaite pour résister à des flèches, mais la chute de Constantinople avait montré que ces puissantes murailles résisteraient mal à l’artillerie récente. La nouvelle enceinte devrait également englober la banlieue (borgi), existant depuis la seconde époque byzantine La décision de construire une nouvelle enceinte fut prise en 1462, sous la pression de la population, mais il fut jugé plus sage, dans l’intervalle, d’améliorer la capacité défensive de l’enceinte existante par l’ajout d’un rempart incliné du côté sud des vieilles murailles verticales pour dévier les boulets de canons. Les travaux de renforcement commencèrent en 1472 et ne furent achevés qu’en 1515. Ils comprenaient la réforme de la porte principale, connue sous le nom de Portone et plus tard sous le nom de Voltone, qui était flanquée d’une paire de tours. Après la décision de 1462, les cent premières années furent consacrées aux plans et aux conceptions, conformément aux exigences du nouveau système défensif bastionné, et à un rééchelonnement constant en raison de l’incapacité de Venise de financer efficacement la construction. Le célèbre architecte véronais Michele Sanmicheli (1484-1559), auteur des fortifications de Padoue et de Vérone, joua un rôle clé dans la conception de l’enceinte de Candie ; il séjourna à Candie de février 1538 à octobre 1539. Sanmicheli conçut une enceinte longue de 5 km et jalonnée de sept gros bastions à renflements latéraux dits « orillons » (orecchioni), ainsi que des fortifications extérieures telles que la forteresse de « Rocca a mare » qui protégeait l’entrée du port ; ses travaux furent poursuivis par son neveu Gian Girolamo Sanmicheli. La construction commença progressivement dans les années 1540-1550 ; dans les années 1560 le système défensif connut un premier stade d’achèvement, sous la conduite de La Sérénissime, qui, face à la conjoncture, avait débloqué des sommes importantes, consacrant en 1561 plus de 20 000 ducats au perfectionnement de la place. L’ingénieur militaire qui donna à l’enceinte son aspect final – notamment du côté maritime – fut Giulio Savorgnan (1510-1595), expert des fortifications et plus tard, en 1592, superintendant général des forteresses (Soprintendente generale delle fortezze), qui fut chargé du projet entre 1562 et 1566. Giulio Savorgnan remania et développa les fortifications existantes afin d’en corriger les faiblesses. La réalisation de l’ambitieux projet s’intensifia à partir de 1562 ; le projet fut modifié à plusieurs reprises, en construisant notamment de nouveaux ouvrages, tels que le cavalier de Zane, achevé en 1614, aménagé pour épauler le bastion de la Sabionera, l’un des principaux points faibles du système défensif ; l’artillerie elle‑même évoluait et il fallait s’adapter et ajouter d’autres défenses aux défenses en place : Candie fut entourée d’ouvrages à cornes (opera a corno), de demi‑lunes (mezzaluna), de ravelins (rivellino) et de palissades exécutés sous la direction de Camillo Gonzaga, puis de Francesco De Wert. En 1664-1665, Antonio Priuli fit ainsi entreprendre d’importants travaux afin de renforcer les défenses là où elles paraissaient les plus imparfaites, à la Sabionera et à San Andrea. La construction fut interrompue une douzaine de fois en raison de la défection financière de Venise mais ne cessa pas d’être améliorée jusqu’à la chute de Candie aux mains des Ottomans le 27 septembre 1669. À partir de 1573 il fut aussi décidé de reconstruire la forteresse de Paliokastro (φρούριο Παλιόκαστρο), située sur la côte ouest du golfe de Candie ; cette forteresse avait été bâtie par le corsaire génois Enrico Pescatore, entre 1206 et 1211, pour fortifier l’île de Crète. Après leur prise de possession de l’île, en 1211, les Vénitiens avait laissé cette forteresse à l’abandon, ne la jugeant pas utile à la défense du port de Candie. Avec la montée de la menace ottomane, 350 ans plus tard, Paliokastro retrouva une importance stratégique pour contrôler la navigation dans le golfe, en permettant un tir croisé avec le bastion de San Andrea, situé au coin nord-ouest de l’enceinte de la ville. La nouvelle forteresse de Paliokastro fut achevée en 1595. Le projet de fortification de Candie traversa de nombreuses péripéties, telles que des épidémies de peste ou de choléra, des séismes ou des tempêtes qui endommagent les môles. Venise dépensa d’énormes sommes d’argent, employa de nombreuses générations d’ingénieurs militaires – parmi les meilleurs de leur temps, Francesco Basilicata, Angelo degli Oddi, Rafaele Monnani ou Marco Boschini - et un nombre infini d’artisans et de travailleurs. Pendant plus de cent ans tous les hommes de Candie furent astreints à une « corvée de terre » et durent donner une semaine par an de leur temps à ces travaux de fortification : creuser un très large fossé – jusqu’à 40 mètres de largeur en certains endroits – dont la terre permet aussi en partie d’édifier le bastion, combler les bastions à la fois surélevés et très épais pour absorber l’impact des boulets, apporter également des terres pour surélever les cavaliers, apporter et tailler des pierres pour l’escarpe et la contrescarpe … Il faut y ajouter des terrassements extérieurs car la cité est partiellement entourée de buttes, donc de lieux proches et plus élevés qu’il faut araser, car ils pourraient servir de plates-formes pour l’artillerie ennemie. Les nombreux emblèmes de Venise, les armoiries des dignitaires vénitiens et les inscriptions votives témoignent des phases successives de la construction, ainsi que la documentation des archives d’État vénitiennes. Ces fortifications ont fait de Candie l’une des meilleures villes fortifiées de la Méditerranée et permirent à la cité de résister au siège des Ottomans durant 21 ans, de 1648 à 1669, siège qui est considéré comme le plus long de l’histoire, après le siège de Ceuta. Après la prise de Candie les Ottomans réparèrent les dégâts causés par le siège mais modifièrent peu les fortifications de la ville ; les Ottomans donnèrent des noms turcs aux fortifications : ainsi la forteresse Rocca a Mare fut renommée Su Kulesi, ce qui a donné le nom actuel de Koulès. Ils construisirent un petit fort connu sous le nom de Petit Koulès du côté des terres près de la forteresse ; ce petit fort fut démoli en 1936 pendant la modernisation de la ville. Malgré les attaques répétées et les bombardements impitoyables subis pendant les vingt-et-un ans du siège ottoman, les fortifications de Candie des XVIe et XVIIe siècles ont survécu jusqu’à nos jours presque intactes et sont considérées comme parmi les fortifications vénitiennes les mieux conservées d’Europe, même si elles souffrent, à certains endroits, d’un manque d’entretien. Les murailles furent encore endommagées par des bombardements aériens allemands lors de la bataille de Crète pendant la Seconde Guerre mondiale, mais ces dégâts ont été réparés. | L’architecture des fortifications vénitiennes de Candie est basée sur le concept de fortification bastionnée destinée à faire face au développement de l’artillerie lourde. Cette architecture bastionnée (Fortificazione all’italiana) fut mise au point par les architectes italiens de la fin du XVe siècle et du XVIe siècle, notamment les frères Sangallo, ingénieur et architecte florentins, et Francesco di Giorgio Martini, ingénieur militaire siennois. Le bastion (baluardo ou balloardo) est une large et épaisse avancée trapézoïdale, en forme de flèche, qui permet de disposer l’artillerie, et qui protège les lignes de murs longilignes, les courtines (cortine), entre deux bastions. Les deux extrémités de la flèche sont face à l’ennemi, les deux flancs protègent la courtine en balayant le fossé. Le système se perfectionne : les deux flancs du bastion peuvent être courbes et former un orillon qui couvre l’artillerie placée en contrebas sur la place basse, un cavalier est élevé en arrière sur le bastion, c’est‑à‑dire un massif de terre (ensuite empierré), qui permet d’établir des pièces d’artillerie en hauteur et de tirer plus loin que les pièces du bastion. S’il y a une grande distance entre deux bastions, une plate‑forme rectangulaire en avancée permet de placer un canon. Un cordon de pierre en saillie au long de la courtine protège les combattants de tirs qui viendraient du fossé. Les murs extérieurs ‑ l’escarpe revêtue de maçonnerie ‑ sont inclinés surtout dans la partie inférieure, ce qui rend plus difficile la pénétration des boulets. L’ensemble est entouré par un fossé large (en tenant compte de la portée des canons ennemis) bordé du côté extérieur d’une contrescarpe, revêtue de maçonnerie et surélevée en formant un talus à son extrémité, de façon à protéger un chemin couvert en contrebas où les défenseurs pouvaient évoluer avec une certaine sécurité. Progressivement ce talus en avant du fossé joue un rôle essentiel, c’est le glacis : on y construit des éléments qui doivent protéger les bastions : ce sont les demi‑lunes ou ravelins, des triangles placés entre deux bastions et des ouvrages à corne, composés d’une courtine et de deux demi‑bastions, ou en étoile. L’ensemble compose, si le relief le permet, un ouvrage polygonal typique dont Candie est un parfait exemple. Le plan général des fortifications de Candie est un octogone irrégulier, s’appuyant sur la nature et la forme des terrains qui offraient de nombreux avantages. Sept des angles de cet octogone sont marqués par des bastions, avec demi‑lunes et cavaliers, le huitième angle étant formé par la forteresse maritime de Rocca a mare. Deux des sept bastions sont au nord, en bord de la mer : à l’est, le bastion de la Sablonnière (Baluardo della Sabionera), nommé ainsi parce que bâti sur du sable, et, à l’ouest, le bastion de Saint-André (Baluardo de Sant’Andrea ; cinq bastions se trouvent face à la terre ferme : d’est en ouest, le bastion Vitturi (Baluardo Vitturi), le bastion de Jésus (Baluardo del Giesù), le bastion Martinengo (Baluardo Martinengo) situé à la pointe sud de l’enceinte, le bastion de Bethléem (Baluardo del Biteleme) et le bastion du Panigra (Pantocrator). Les bastions intérieurs sont en forme de cœur ; ils sont reliés à l’enceinte par des gorges (gole), de chaque côté desquels se trouvent des terrasses inférieures (piazze basse) pour les canons lourds, qui constituaient la principale puissance de canons de la forteresse. Des cavaliers furent construits sur certains des bastions pour les renforcer (Vitturi, Martinengo). Les tours des anciennes fortifications, situées en arrière des bastions, étaient utilisées comme poudrières ou silos à grains. Autour de l’enceinte, il y avait un fossé sec, large et profond, avec une pente extérieure, la contrescarpe, presque verticale, qui était tenu par la maçonnerie. Le creusement des fossés a aidé à ériger les remparts, car la grande quantité de terre excavée a été utilisée pour créer le grand remblai qui entourait la ville comme une colline uniforme. Du côté intérieur le remblai présentait une pente douce, mais du côté extérieur, il était maintenu par une forte maçonnerie fortement inclinée, l’escarpe (scarpa). Au-dessus de cette paroi inclinée, il y avait un parapet vertical (parapetto), séparé de la partie inclinée par un cordon (cordone). La conception de la fortification était ardue mais ingénieuse : les fossés étroits et secs interdisaient le plein développement des troupes ennemies, qui, dans tous les cas, étaient exposées à portée des canons sur la gorge du bastion. L’enceinte était entourée de divers ouvrages, dont plusieurs ravelins ou redoutes (d’est en ouest : les ravelins San Niccolò, Biteleme, Panigra et San Spirito, la redoute Sant’Andrea), trois ouvrages à cornes (opera a corno) (l’ouvrage de la Panigra qui protégeait le bastion et la porte du même nom, l’ouvrage de la Palma pour le bastion de Jésus, l’ouvrage Molina près de la Sabionera), une demi-lune (la demi‑lune Martinengo qui protégeait le bastion de Bethléem) et un ouvrage à couronne (opera a corona) (l’ouvrage à couronne de Santa Maria pour protéger le bastion Martinengo). Une série de forteresses extérieures situées sur la rive opposée du fossé visait à offrir une protection supplémentaire aux bastions. Le fort de Saint-Démétrius, composé d’un petit bastion et de deux demi-bastions, fut construit sur la colline à l’est de la ville. La muraille était percée de trois portes principales, protégées par les bastions et des demi-lunes, qui donnaient accès à l’arrière-pays : la porte Saint-Georges (Porta di San Giorgio), la porte de Jésus (Porta del Giesù), la porte du Panigra (Porta del Panigra) ou porte du Pantocrator ; ces portes étaient des couloirs voûtés en berceau situés dans la gorge des bastions, sous leurs terrasses inférieures, afin d’être protégés par leurs canons à poudre. Les portes intérieures (vers la ville) de ces couloirs avaient la forme d’impressionnantes façades de style Renaissance, décorées d’emblèmes, d’armoiries et de sculptures architecturales, tandis que les portes extérieures (vers les fossés) étaient des ouvertures cintrées simplifiées dans la maçonnerie extérieure inclinée. Il y avait en outre des portes à usage militaire : la Porte Saint‑André (Portello di Sant’Andrea), la Porte de la Sabionera (Porta della Sabionera) et la Porte de Dermatas (Porta di Darmata ou Porta del Tramata), ouvrant sur la baie du même nom, au nord‑ouest, où se trouvait le port des barques. Des portes furent également ouvertes sous les bastions côtiers de la Sabionera vers l’est et de Saint-André vers l’ouest ; entre les deux, une troisième porte conduisait à la baie de Dermatas (Κόλπος Δερματά) : la Porte de Dermatas (Πύλη Δερματά) (n° 16 sur le plan). De ces trois portes, seule la Porte de la Sabionera a survécu intacte (n° 7 sur le plan). À l’intérieur du port, il existait aussi la Porte du Môle et la Porte des Arsenaux ; elles sont tous les deux démolies de nos jours. Entre 1523 et 1540, les Vénitiens construisirent, pour renforcer l’entrée du port, la nouvelle forteresse encore présente, la Rocca a mare ou Castello da mare. | En 1669, François d’Aubusson de la Feuillade (1631-1691), futur maréchal de France, organisa à ses frais et sans l’accord du roi Louis XIV, une expédition de 500 volontaires pour secourir Candie, assiégée par les Ottomans. Planche tirée du « Journal de l’expédition de M. de la Feuillade pour le secours de Candie », Lyon, 1669. Légende de la planche A : Le bastion de Saint-André. 1 : La brèche. 2 : Les deux retranchements. 3 : Le grand retranchement qui embrasse aussi l’Écossaise. 4 : La porte de Saint-André. 5 : La demi-lune ou la redoute de Saint-André, sur lequel les Turcs ont élevé une batterie de quatre pièces. 6 : L’endroit où était le fort avancé pour couvrir la demi-lune. 7 : Les redoutes et les autres logements que les Turcs ont faits avec les terres apportées en cet endroit et vers l’Écossaise sur le sable. 8 : L’ouvrage de Priuli, ruiné, où les Turcs ont une batterie de quatre mortiers. La place de la petite tour appelée Priula, où les ennemis ont une batterie de cinq pièces qui bat la porte de Saint-André et les redoutes qui sont au devant de l’Écossaise. Elle a été enclouée. 9 : L’Écossaise. 10 : Les batteries des ennemis, du côté de Saint-André. 11 : Les redoutes des Vénitiens au devant de l’Écossaise et de la porte Saint-André. 12 : Demi-redoute. 13 : Le petit arsenal. 14 : Le grand arsenal. 15 : Le cavalier Barbaro, élevé sur deux commandements. B : La Sablonnière. 16 : Ses deux retranchements. 17 : Le cavalier de Zane. 18 : Les redoutes des ennemis. 19 : Leurs batteries du côté de la Sablonnière. 20 : Le cavalier qu’ils tâchent d’enlever. 21 : Logement des Janissaires. Les dehors de la Sablonnière étaient une grande redoute, à la pointe du bastion, sur le fossé de la fausse braie, et une autre petite vis-à-vis, fort avancée. 22 : L’ouvrage de Molina. 23 : L’ouvrage Barbaro. C : Le bastion de la Victoire. 24 : Son cavalier. 25 : Le Fort-Royal, ou de Saint-Dimitre. 26 : Ses demi-lunes. 27 : Son Ravelin. 28 : L’ouvrage de Priuli ou de Sainte-Marie-de-la-Presa. 29 : Le fort de Crève-Cœur. D : Le bastion de Jésus. 30 : Sa retirade. 31 : La Palma. 32 : Le ravelin de Saint-Nicolas. E : Le bastion de Martiningue. 33 : Son cavalier. 34 : Son ouvrage couronné, appelé Sainte-Marie. 35 : Le ravelin de Bethléem. F : Le bastion de Bethléem. 36 : Demi-lune de Mocenigo. 37 : Le ravelin de Panigra. G : Le bastion de Panigra. 38 : Sa retirade. 39 : Ouvrage de Panigra. 40 : Le ravelin du Saint-Esprit. 41 : La brèche du même ravelin. 42 : La fraise de Morosini, ruinée. |
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| La forteresse vénitienne (Ενετικό Φρούριο / Enetikó Froúrio) | La forteresse maritime d’Héraklion (Θαλάσσιο φρούριο Ηρακλείου) est bâtie sur des récifs situés dans la baie d’Ammoudara (Κόλπος της Αμμουδάρας), à environ 300 m au nord du vieux port (n° 9 sur le plan). Conjointement avec le château de Paléocastro (Κάστρο του Παλαιοκάστρου / Kástro tou Palaiokástrou) le rôle de la forteresse était de protéger la baie pour empêcher les débarquements et les invasions près de la capitale de la Crète. À l’époque de la domination vénitienne, quand la Crète et sa capitale étaient nommées Candia, la forteresse vénitienne (Ενετικό φρούριο / Enetikó froúrio) était nommée Castello di Candia ou Castel di Candia (« Château de Candie »), mais plus couramment Castello del Molo (« Château du Môle ») ou Castello a Mare (« Château sur la Mer »), ou encore Rocca a Mare (« Forteresse sur la Mer »). Lorsque les Ottomans occupèrent l’île, les Turcs donnèrent à la forteresse le nom de « Su Kulesi » (« Château de la Mer ») ; après la libération de la Crète ce nom fut conservé par les Crétois mais altéré en Koulès (Κούλες / Koúles), nom encore employé de nos jours. Pendant la période hellénistique le port naturel d’Héracléion était probablement déjà utilisé comme port fortifié de la cité de Cnossos ; ce port était protégé par un brise-lames au vent du nord-ouest et un brise-lames sous le vent du sud ; à l’extrémité est du brise-lames au vent, il y avait une tour de balise, qui a probablement été reconstruite, ainsi que le reste de l’enceinte de fortification, au VIIe ou au VIIIe siècle après JC, pour faire face à la menace arabe. L’île fut cependant occupée, entre 824 et 961, par des Maures d’Andalousie, chassés de l’Émirat de Cordoue, qui en firent une base de piraterie. Après la reconquête de l’île, pendant la seconde époque byzantine, une tour fut construite à l’emplacement de la forteresse actuelle ; cette tour était connue sous le nom de Castellum communis. Lorsque les Vénitiens prirent possession de la Crète, en 1211, à la suite de la IVe croisade, ils modifièrent la partie supérieure du Castellum communis en agrandissant la zone de rempart, selon la tradition occidentale ; le Castellum communis était une tour de pierre, de section carrée et haute d’environ 15 m ; une tour plus petite, située au bord du brise-lames sous le vent compléta la défense de l’entrée du port. La tour fut gravement endommagée lors du terrible tremblement de terre du 8 août 1303, mais fut reconstruite. Les tours sont mentionnées dans des témoignages d’auteurs italiens du XIVe siècle et on peut les voir sur les croquis réalisés par le moine et cartographe florentin Christoforo Buondelmonti vers 1420 (Christophorus Bondelmontius - Descriptio Insulae Cretae, 1417, et Liber Insularum Archipelagi, 1420). Le Castellum communis fut à nouveau gravement endommagé par un autre tremblement de terre, le 29 mai 1508. Face au développement de l’artillerie lourde et aux menaces d’expansion turque sous le règne du sultan Soliman le Magnifique (règne de 1520 à 1566), la vieille tour était devenue inadéquate ; en 1523, il fut décidé de la démolir et de la remplacer par une forteresse conçue selon les principes du système défensif bastionné (fronte bastionato), suivant ainsi la planification générale de la nouvelle enceinte de fortification de la ville, dont la construction avait été décidée dès 1462 par le Sénat de Venise. La construction de la nouvelle forteresse commença en 1523. Parce que le nouveau bâtiment devait être beaucoup plus grand que l’ancienne tour, la fondation rocheuse existante dut être agrandie ; pour cela, de vieux navires, chargés de roches et de pierres transférées depuis l’île de Dia (Ντία), nommée Standia à l’époque vénitienne, et depuis la carrière de Fraskia (Φρασκιά), Praschia à l’époque vénitienne, sur le golfe de Palaiokastro, furent coulés pour élargir la plate-forme. Un petit môle solide (sperone) en forme de lance, muni de fixations de navire, fut créé du côté nord ; du côté nord-ouest, un brise-lames (porporella) fut construit. Pour la construction, une grande quantité de calcaire fut utilisée, soit des matériaux remployés des fortifications hellénistiques, soit provenant des carrières de calcaire voisines. La forteresse fut achevée en 1540, sans doute sous la direction de l’ingénieur véronais Michele Sanmicheli ; elle avait des murs épais pour résister aux bombardes ennemies et des embrasures assez larges pour y installer des canons. La forteresse maritime prit le nom de Castello a Mare. Cependant la forteresse souffrit constamment des vagues de la mer, ce qui contraignit les Vénitiens à planifier des réparations successives ; de même, les suggestions de modifications ne cessèrent pas pendant plus d’un siècle. Cependant, la forteresse joua son rôle de protection du port de Candie jusqu’à la chute de la ville en 1669, permettant le débarquement d’approvisionnements et de renforts de troupes pendant les 21 ans que dura le siège de la ville. Pendant l’occupation ottomane, de 1669 à 1898, les Turcs n’apportèrent pas de modifications majeures à la forteresse, à l’exception des ajouts de certains créneaux et embrasures. Le côté sud, qui s’était effondré en raison des embrasures à canons, fut reconstruit et le parapet droit originel de la terrasse supérieure fut surélevé, ainsi que le chemin de ronde. En 1719 la partie nord-ouest de Su Kulesi s’effondra et fut reconstruite. Du côté sud, une mosquée avec un minaret fut construite. En 1864, le phare de la forteresse fut reconstruit par la Compagnie française des phares et balises de l’Empire ottoman de Marius Michel, dit Michel « Pacha ». Pendant l’occupation turque, la forteresse, que les Turcs nommaient la forteresse « Su Kulesi » (« Tour de l’Eau »), servit de prison où furent enfermés et torturés de façon ignoble de nombreux résistants crétois, notamment Daskalogiannis qui y fut écorché vif en 1771 sous les yeux de son frère qui en perdit la raison. Pour renforcer la protection du port, les Turcs construisirent une autre forteresse, beaucoup plus petite, sur la côte, près des arsenaux vénitiens ; cette forteresse, dénommée « Petite Koulès », fut démolie en 1936 en même temps qu’une partie des murailles vénitiennes de l’enceinte maritime. | La forteresse Koulès est constituée d’énormes murailles, faites de blocs massifs, dont l’épaisseur atteint jusqu’à 8,7 m à certains endroits ; ces murailles dessinent une forme plutôt irrégulière, la combinaison d’un rectangle et d’une demie ellipse, avec un bastion au nord-est. Les murs du bastion nord sont un peu moins épais, avec une épaisseur d’environ 7 m. La partie semi elliptique, qui se trouve au sud-est, faisant face au port, a une hauteur légèrement inférieure à celle de la partie rectangulaire. | | Les façades ouest, sud et nord-est de la forteresse étaient décorées de bas-reliefs en marbre représentant le Lion ailé de saint Marc tenant un Évangile, symbole de Venise ; ces bas-reliefs, qui datent de 1533 et 1634, survivent, tant bien que mal, jusqu’aujourd’hui, très mutilés, probablement par les Turcs. | | On accède à la forteresse par une jetée, qui servait de brise-lames au vent d’ouest et qui était surmontée par une muraille disposant d’embrasures à canons ; seule la dernière partie de cette muraille subsiste de nos jours près de la porte principale de la forteresse. La forteresse occupe une superficie d’environ 3 600 m² sur deux planchers, avec un total de 26 salles. L’entrée principale se trouve au bout du môle, dans la façade ouest, et ouvre sur le vestibule qui était protégé par deux portes successives ; il avait en outre une herse métallique qui protégeait la seconde porte. L’entrée, voûtée en berceau, a une largeur de 3 m. | | Au rez-de-chaussée se trouve un vaste vestibule où l’on accède par la porte principale située au sud-ouest ; la largeur du vestibule varie de 5 m à 7 m ; le vestibule donne accès à cinq casemates armées de canons qui, en 1630, abritaient 18 canons qui tiraient par des embrasures situées au ras des flots ; cependant leur champ de vision était limité et la fumée excessive produite par les explosions envahissait les casemates. Le rez-de-chaussée comportait aussi des entrepôts où, selon un inventaire de 1630, étaient entreposés 300 caisses de poudre et 6 144 boulets de canon de différentes tailles ; il y avait aussi des entrepôts pour la nourriture. Vers le centre de la forteresse, le vestibule se divise en deux couloirs. Le couloir de droite dessert la saillie semi-elliptique située au sud-est de la forteresse ; dans cette partie se trouve la salle la plus vaste de la forteresse, pourvue d’embrasures à canons donnant sur le port. Le couloir de gauche conduit au bastion situé au nord-est. Sur la droite de ce couloir se trouvent trois salles voûtées, utilisées comme cellules de prison pendant la période de l’occupation ottomane. À l’extrémité du couloir de gauche, dans une double salle voûtée, se trouve la porte du nord-est qui servait à l’approvisionnement de la forteresse par des galions. | | Le sol du vestibule et des salles voûtées du rez-de-chaussée était recouvert d’un plancher en bois reposant sur des corbeaux, sans doute pour lutter contre les variations du niveau de la mer. D’autres corbeaux, visibles à un niveau supérieur, supportaient probablement des mezzanines en bois. Le rez-de-chaussée n’était éclairé que par des puits de lumière percés dans le sol de la terrasse, au sommet des voûtes. Des ouvertures semblables alimentaient les citernes avec les eaux de pluie. Depuis le vestibule un escalier, situé sur la gauche, permet d’accéder à une citerne d’eau et au premier étage ; une rampe, située à droite du vestibule, permettait de hisser les canons jusqu’à la terrasse du toit. Au premier étage se trouvaient les quartiers des officiers et des soldats, ainsi qu’un moulin à vent, un four à pain et une citerne, assurant l’autonomie de la garnison de la forteresse. Le moulin à vent et le four sont visibles sur des gravures du XVIIe siècle. Une chapelle s’y trouvait également. Le premier étage forme une vaste plate-forme où trouvaient place 25 canons, selon l’inventaire de 1630. Du côté nord se dressait le phare qui marquait l’entrée du vieux port. La terrasse est entourée d’un chemin de ronde protégé par un parapet séparé des murs inclinés par une moulure (cordone) ; la forme actuelle des merlons est une altération de la période ottomane. Les canons étaient disposés sous le chemin de ronde dans des embrasures. | | La forteresse a rouvert au public en 2016, après une période de restauration et de mise en sûreté entre 2011 et 2016. La forteresse abrite un musée des fortifications et de l’histoire militaire d’Héraklion ; sont aussi évoquées des fouilles sous-marines, notamment celles menées en 1976 par le commandant Jacques-Yves Cousteau sur le site du navire « La Thérèse », envoyé en 1669 par le roi Louis XIV pour venir au secours des Vénitiens lors du siège de Candie et coulé peu de temps après son arrivée. La forteresse accueille également des événements culturels. Depuis la terrasse on a de très belles vues sur le port et sur la ville. Visite de la forteresse de Koulès : Adresse : sur le môle du Vieux-Port. Téléphone : 00 30 2810 288 484. Horaires d’été, du 1er avril au 31 octobre : du mardi au dimanche, de 8 h 30 à 19 h. Horaires d’hiver, du 1er novembre au 31 mars : du mardi au dimanche, de 8 h 30 à 15 h. Entrée autorisée jusqu’à une demi-heure avant la fermeture. Tarif : 2 € ; tarif réduit : 1 €. Site sur la Toile : koules.efah.gr |
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| Le vieux port vénitien (Παλιό Ενετικό Λιμάνι / Palió Enetikó Limáni) | Le port de la cité minoenne de Cnossos était situé dans l’estuaire de la rivière Katsabas (Κατσαμπάς), qui coule à l’est de la ville d’Héraklion, entre le port moderne et l’aéroport. Cependant, les criques situées dans le sud de l’île de Dia ont toujours servi de port extérieur sûr pour la ville, comme le révèlent les épaves, les objets isolés récupérés et le brise-lames immergé de la crique Saint-Georges (Άγιος Γεώργιος). Quant à la crique d’Héraklion, les archéologues n’ont pas de preuves quant à son utilisation à l’époque préhistorique. La crique s’est développée comme un important centre commercial à l’époque hellénistique (du IVe au IIe siècle avant JC), alors qu’elle était probablement fortifiée pour la première fois. C’est peut-être à cette époque que les brise-lames ont été construits, étendant les formations rocheuses naturelles des côtés nord et est du bassin du port. D’autres modifications du port ont probablement eu lieu à l’époque romaine. La reconstruction de la fortification côtière de la ville, à l’époque protobyzantine (VIIe et VIIIe siècles après JC), comprenait également des mesures pour défendre le port ; une tour carrée existait à l’extrémité du môle du nord qui a survécu au début des siècles vénitiens sous le nom de Castellum Communis, pour être plus tard remplacée par l’actuel fort de la mer, la Rocca a Mare. Sur le côté sud du bassin, un complexe de hangars pour accueillir et réparer les navires était également présent, comme en témoigne le manuscrit de l’historien byzantin du XIe siècle Jean Skylitzès (Ιωάννης Σκυλίτζης). L’importance stratégique du port d’Héraklion fut certainement un facteur décisif pour la prise de la ville par les Arabes au IXe siècle après JC, qui l’ont convertie en une base pour leurs invasions contre l’Empire byzantin et en un centre commercial entre la Méditerranée orientale et la Méditerranée occidentale. Pendant ce temps, l’importance de la ville pour les Byzantins les poussa à poursuivre leurs efforts pour la reconquérir pendant plus de deux siècles ; lorsque cela fut finalement réalisé en 961, la ville entra progressivement dans une nouvelle période de prospérité avec une économie florissante basée sur un commerce transméditerranéen de marchandises. L’amélioration du port fut l’une des premières priorités des Vénitiens, après la conquête de la Crète en 1211. Leur aspiration était de faire de Candie le principal centre commercial de la Méditerranée orientale. Pour cette raison, ils renforcèrent les brise-lames ; ils restaurèrent les fortifications du port byzantin et, en 1281, ils construisirent le premier complexe de chantiers navals, les Arsenali Antichi, dans la zone du chantier naval byzantin, sur le côté sud du bassin du port. Le port de Candie était le cœur de la ville et de l’île de Candie, servant les gens et échangeant des marchandises dans toute la Méditerranée orientale ; à partir du port s’est développé un commerce d’exportation avec l’Égypte, la Syrie, l’Arménie, Chypre, les îles de Rhodes et de Chios, et cetera. Les navires vénitiens voyageaient chargés de produits crétois, tels que des céréales, des produits laitiers tel que le fromage, du vin, du miel, de l’huile d’olive, de la cire et des bougies, des raisins secs et du sel, qui était un monopole vénitien, ainsi que des épices de l’Orient, du poisson salé et du bois de Constantinople, des tissus, de la soie et du coton, des meubles et des outils en fer d’Europe. La richesse qui se déversait dans la ville était la force motrice du développement artistique et littéraire de ce qui fut nommé la « Renaissance crétoise ». Les Vénitiens surnommèrent « Candie » la « Venise de l’Est ». Dans le même temps, le port devint une base navale majeure des Vénitiens pour contrôler toute la Méditerranée orientale. Au XVIIe siècle, le port prit sa forme définitive et pouvait abriter 50 galères. L’ancien port vénitien est désormais dévolu aux pêcheurs. Le quartier du port n’est pas très attrayant car les murailles maritimes ont été démolies pour faire place à des boulevards où la circulation automobile est intense, le boulevard Néarque (Λεωφόρος Νεάρχου) et le boulevard Sophocle Venizélos (Λεωφόρος Σοφοκλή Βενιζέλου). On y trouve cependant quelques restaurants de poissons et un glacier qui tentent d’attirer les visiteurs de la forteresse ; ces tavernes de poissons du port sont surtout appréciées le soir, quand on peut y entendre des joueurs de lyra crétoise (λύρα). La jetée qui conduit à la forteresse se poursuit au-delà sur une grande longueur ; il faut compter environ 45 min pour en faire l’aller-retour. Le port moderne de passagers, où abordent les transbordeurs et les navires de croisières, se trouve à l’est du vieux port ; en face du port de passagers se trouve la gare routière du port. Plus à l’est se trouve le port de marchandises. |
| L’arsenal vénitien (Ενετικό Οπλοστάσιο / Enetikó Oplostásio) | Dans l’ancien port, on peut voir des vestiges des chantiers navals vénitiens, c’est-à-dire les ateliers où des navires de guerre ou de commerce étaient construits, réparés, entretenus ou simplement mis à l’abri par les Vénitiens : galères, marsillannes (marsiliane), galéasses, galions et de plus petits navires. L’ensemble de chantiers navals d’origine byzantine, les arsenaux antiques (Arsenali Antichi), fut progressivement réparé à partir de 1507, et voûté de cinq séries de voûtes d’arêtes. Ils ont été détruits par le tremblement de terre du 8 août 1303, mais ont été reconstruits. Le deuxième ensemble, les arsenaux Bembo (Arsenali Bembo, du nom du capitaine Gianmatteo Bembo, gouverneur de Candie) ou vieux arsenaux (Arsenali Vecchi), fut construit entre 1550 et 1556, avec quatre cales voûtées et séparées par des arcs, d’une demi-longueur, situées à l’ouest des arsenaux antiques. Sur le côté ouest des vieux arsenaux, un escalier menait à la Porte des Arsenaux, située à six mètres au-dessus du niveau de la mer. Le troisième ensemble de chantiers navals, les nouveaux arsenaux (Arsenali Nuovi) ou arsenaux Duodo (Arsenali Duodo, du nom de l’amiral Francesco Duodo), commença d’être construit en 1556 sur le côté sud-est du bassin du port et s’étendit à l’est sous le nom d’arsenaux très nouveaux (Arsenali Nuovissimi). Au début du XVIIe siècle, le Provéditeur Général Giovanni Giacomo Zane fit construire, au sud du double ensemble d’arsenaux, une grande citerne à deux chambres, d’une capacité de 20 000 barils, pour approvisionner en eau le port et les navires ; cette citerne est connue de nos jours comme la citerne de Zane (Δεξαμενή Ζάνε / Dexamení Záne). Le port fut plus tard raccordé à l’aqueduc construit par Francesco Morosini, Provéditeur Général de Candie de 1625 à 1628, à ne pas confondre avec Francesco Morosini, commandant des forces terrestres vénitiennes pendant le siège de Candie. Dans la zone sud-ouest du complexe, un entrepôt de sel fut également construit pour répondre aux besoins du monopole du sel, produit dans les marais salants d’Élounda, dans le golfe de Mirambello. Dans leur situation d’origine, les chantiers navals étaient ouverts du côté de la mer ; la mer pénétrait dans les darses jusqu’au point où les navires pouvaient être tirés pour être calfatés ou radoubés. Les cales de construction étaient des structures allongées et voûtées, d’une longueur de 50 mètres, d’une largeur de 9 mètres et d’une hauteur de 10 mètres ; les cales communiquaient entre elles par des ouvertures arquées et étaient fermées par des panneaux de planches de bois à claire-voie. Au XVIIe siècle les Vénitiens disposaient d’un total de dix-neuf cales construites à ces différentes époques. Les Arsenali Antichi s’effondrèrent lors du tremblement de terre de 1810. Plus tard, la création du boulevard du front de mer et l’agrandissement du port imposèrent la démolition d’une grande partie des chantiers navals. De nos jours, seules subsistent, au sud-est du port, une partie de l’une des cinq darses des Arsenali Nuovi et des Arsenali Nuovissimi et, au sud-ouest du port, la partie arrière des quatre darses des Arsenali Vecchi. La hauteur de voûte de la cale des Arsenali Nuovi permet d’imaginer la taille des navires vénitiens à la fin du XVIIe siècle. La citerne existe encore de nos jours, de même que le bâtiment d’entrepôt du sel ; la citerne est utilisée pour l’arrosage des espaces verts du port (70 000 litres / jour). Les vestiges des chantiers navals vénitiens (Ενετικά Νεώρια / Eneticá Neória) se trouvent dans le coin sud-est du bassin du Vieux-Port, noyés dans la circulation automobile, au bord du boulevard Néarque (n° 8 sur le plan). |
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| | Le bastion de la Sabionera (Προμαχώνας Σαμπιονάρα / Promachónas Sampionára) | Le bastion de la Sablonnière (Προμαχώνας Σαμπιονάρα, Baluardo della Sabionera ou Baluardo della Sabbionara) est le bastion situé le plus à l’est, presqu’en bord de mer. Il doit son nom au fait qu’il a été construit sur une zone sablonneuse. Le bastion était surmonté d’un cavalier, le cavalier Zane ; une porte à usage militaire, la Porta della Sabionera, reliait le cavalier au bastion. |
| Le bastion de Vitturi (Προμαχώνας Βιττούρι / Promachónas Vittoúri) et la porte Saint-Georges (Πύλη Άγίου Γεωργίου / Pýli Ágiou Georgíou) | Le bastion de Vitturi, situé au coin sud-est de la ville close, était l’un des plus puissants des fortifications de Candie. Il doit son nom de Baluardo Vitturi au Provéditeur général, ou duc de Candie, Giovanni Vitturi, nommé en 1539. La construction du bastion s’acheva en 1540. Le bastion était surmonté d’un cavalier rectangulaire, le cavalier Vitturi. Dans la gorge du bastion Vitturi, derrière un orillon, s’ouvrait la porte Saint-Georges (Porta di San Giorgio), construite en 1565 par le capitaine général Paolo Zorzi (n° 4 sur le plan) ; la porte était aussi nommée Porta del Lazzaretto, car elle conduisait à un lazaret ; il s’agissait d’une porte à usage exclusivement militaire dont la galerie souterraine traversait le terre-plein du bastion sur près de 50 m de longueur et en forte pente. Du côté extérieur, la porte Saint Georges donnait sur le fossé oriental en direction du fort Saint-Dimitri ; la façade extérieure de la Porte Saint-Georges a survécu. En revanche, la façade vers l’intérieur de la ville fut endommagée par le tremblement de terre de 1856 et fut finalement démolie en 1917. Cette façade, de style Renaissance, ouvrait vers la place de Mars, nommée de nos jours Place de la Liberté (n° 2 sur le plan). De la décoration sculpturale de cette porte ont survécu un médaillon représentant saint Georges à cheval et un autre portant des armoiries, exposés aujourd’hui au Musée historique de Crète. Deux médaillons partiellement conservés, qui sont exposés dans la forteresse, pourraient être attribués à la façade intérieure. L’un d’eux représente un lion tenant un évangile ouvert, tout comme le médaillon sur le côté droit de la façade. L’autre fait probablement partie du deuxième médaillon portant des armoiries. Le bastion de Vitturi était décoré de nombreux écussons, notamment ceux de Giovanni Vitturi, de Paolo Zorzi ou de Gerolamo Priuli, avec sa corne ducale ; beaucoup de ces écussons ont disparu. |
| Le bastion de Jésus (Προμαχώνας Ιησού / Promachónas Iisoú) | Le bastion de Jésus (Baluardo del Gesù) se trouve au sud-sud-est de l’enceinte. Dans la gorge du bastion, derrière un des orillons, débouche la Porte de Jésus (Πύλη Ιησού / Porta del Gesù) ou Nouvelle Porte (Καινούργια Πόρτα / Kainoúrgia Pórta) (n° 24 sur le plan). La galerie qui menait vers le sud de l’île fut creusée dans les années du capitaine et provéditeur général Giovanni Zuane Mocenigo (1587). La façade vers la ville a un style Renaissance élaboré avec un riche entablement ; cette façade présente trois arches en pierres taillées. Au-dessus de la porte extérieure, très simple, donnant sur le fossé, il y a une dalle en bas-relief avec le lion de Saint Marc et des armoiries sous un médaillon avec le symbole gothique de Jésus (JHS) (Jesus Hominum Salvator, Jésus Sauveur des Hommes). |
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| | La tombe de Nikos Kazantzakis (Τάφος του Νίκου Καζαντζάκη) | Au sommet du cavalier du bastion de Martinengo se trouve la tombe de l’écrivain crétois Nikos Kazantzakis (Νίκος Καζαντζάκης / Níkos Kazantzákis), né à Héraklion en 1883. L’auteur est célèbre notamment pour ses romans « Alexis Zorba » (1946), dont a été tiré le film « Zorba le Grec », et « La Dernière Tentation du Christ » (1954) ; c’est ce dernier roman qui valut à l’auteur de se voir refuser une sépulture chrétienne par l’Église grecque orthodoxe qui l’avait excommunié ; il fut enterré sur les remparts d’Héraklion en 1957. La tombe en pierre est d’une grande simplicité, avec une simple croix de bois brut ; sur la stèle est gravée cette épitaphe qu’il avait lui-même demandé d’inscrire :« Je n’espère rien. Je ne crains rien. Je suis libre. » (« Δεν ελπίζω τίποτα. Δε φοβάμαι τίποτα. Είμαι λέφτερος. ») |
| | Le bastion du Pantocrator (Προμαχώνας Παντοκράτορα / Promachónas Pantokrátora) et la porte de La Canée | Le bastion du Pantocrator se trouve à l’ouest de l’enceinte de la ville close (n° 30 sur le plan) ; il doit son nom à une église dédiée au Christ Pantocrator située du côté intérieur de l’enceinte. Ce bastion était également nommé bastion de Panigra (Baluardo di Panigra) à l’époque vénitienne. Dans la gorge du bastion, derrière l’orillon situé au sud, débouche la galerie du Pantocrator, qui fut creusée dans les années du doge Pietro Loredan (1567-1570), selon les armoiries de la porte extérieure. La façade de sa porte intérieure était revêtue de pierres calcaires taillées. Les dalles avec des Lions ailés de saint Marc en bas-relief et des médaillons avec la figure du Pantocrator sur les façades intérieure et extérieure de la galerie sont intactes, à l’exception d’une petite partie de la dalle du Lion sur la façade de la porte intérieure ; un bas-relief porte l’inscription « Omnipotens » équivalent latin de Pantocrator (« Tout-puissant »). La porte du Pantocrator avait un usage mixte, à la fois civil et militaire, avec deux couloirs séparés pour chaque usage. Cette Porte du Pantocrator (Πύλη Παντοκράτορος) ou Porte de Panigra est plus couramment nommée Porte de La Canée (Χανιώπορτα) car elle conduit vers l’ouest de l’île et la ville de La Canée. Près de la porte de sortie se trouve la statue de bronze de Michalis Korakas (Μιχαήλ Κόρακας) (1797-1882), héros crétois célèbre pour sa lutte acharnée contre les Turcs au XIXe siècle, honoré du titre de « Kapétan » et illustré dans le roman « La Liberté ou la Mort », de Nikos Kazantzakis. |
| Le bastion Saint-André (Προμαχώνας του Αγίου Ανδρέα / Promachónas tou Agíou Andréa) | Le bastion Saint-André (Baluardo di Sant’Andrea) est la fortification située au nord-ouest de la ville close, très près de la côte. Le bastion était protégé par une redoute (Ridotto di Sant’Andrea) qui fut prise par les Turcs et d’où ils battaient la Porte Saint-André. Entre le bastion de Panigra et le bastion Saint-André se trouvait le ravelin du Saint-Esprit (Rivellino San Spirito). |
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| Histoire | Le siège de Candie (1648-1669) | Après la prise de Chypre par les Ottomans en 1570, la Crète demeurait la seule possession de la République de Venise en Méditerranée. La victoire des puissances chrétiennes de la Sainte-Ligue à la bataille navale de Lépante, le 5 octobre 1571, marqua une pause dans l’expansionnisme ottoman. La « Sublime Porte » dut d’ailleurs consacrer ses forces militaires à sa lutte contre la dynastie safavide de Bagdad, durant trois guerres successives entre 1578 et 1639 dont les Ottomans du sultan Mourad IV (règne de 1623 à 1640) sortirent vainqueurs. Cependant Candie représentait pour les Ottomans un obstacle majeur pour leurs relations avec leurs importantes possessions d’Arabie, d’Égypte et d’Afrique du Nord ; la flotte turque continuait de harceler sans cesse la Crète par des razzias meurtrières et des bombardements destructeurs de villages côtiers au moyen de canons lourds, en attendant le moment de tenter de s’emparer de l’île. De son côté Venise sortit très affaiblie de la guerre de Chypre ; elle fut plus affaiblie encore après une épidémie de peste qui tua un quart de sa population entre 1575 et 1577. En 1574, la République nomma Giacomo (Jacopo) Foscarini Provéditeur général de Candie, avec les attributions de capitaine général et d’inquisiteur ; il avait aussi les pleins pouvoirs pour réorganiser le Royaume de Candie (Regno di Candia) et renforcer les défenses de l’île et de sa capitale. Foscarini réalisa une réforme agraire et pacifia le pays ; la « Renaissance crétoise » atteignit son apogée à cette époque. Pourtant Venise disposait de moyens financiers de plus en plus limités pour construire des forteresses et des galères, recruter des soldats et des rameurs ; la situation économique de Venise fut aggravée au début du XVIIe siècle par la Guerre de Trente Ans (1618-1648) qui entrava ses activités commerciales. La République Sérénissime comptait davantage sur sa diplomatie pour éviter une nouvelle guerre avec la Sublime Porte. À partir de 1640, après leur ultime victoire sur les Safavides, les Ottomans eurent les mains libres pour se retourner contre la Crète. Le prétexte leur en fut fourni, au mois de septembre 1644, par l’attaque des galères de l’Ordre de Malte, au large de l’île de Rhodes, contre un convoi de pèlerins turcs se rendant à La Mecque ; le convoi comprenait l’un des fils du sultan, Mehmed. Les galères de l’Ordre capturèrent Mehmed, s’emparèrent des trésors transportés et libérèrent les esclaves chrétiens ; les Chevaliers Hospitaliers durent s’abriter dans le port de Calus Limniones, de nos jours Kali Liménès (Καλοί Λιμένες / Kalói Liménes), sur la côte méridionale de la Crète, pour se ravitailler et relâcher quelques esclaves grecs. Dès que la nouvelle parvint à Constantinople, le sultan Ibrahim Ier, dit Ibrahim le Fou, (règne de 1640 à 1648), déclara la guerre à Malte et accusa les Vénitiens de complicité, bien que ceux-ci aient toujours interdit aux Chevaliers de faire escale dans leurs ports. Le prétexte pour entreprendre la conquête de la Crète était trouvé : en avril 1645 une flotte turque puissante, de plus de 400 navires et de 50 000 hommes, passa le détroit des Dardanelles pour se diriger vers la Crète, mais en feignant de se diriger vers Malte. Le 23 juin 1645, les Turcs attaquèrent la forteresse de l’île de San Todoro, de nos jours Saints-Théodores (Άγιοι Θεόδωροι / Ágioi Theódoroi), près de La Canée, dont le commandant préféra la faire exploser ; ce même jour les Turcs débarquèrent près du monastère de Gonia sur la presqu’île de Rhodopos. La flotte vénitienne, ancrée dans la rade de Souda, pourtant forte de plus de 100 navires, hésita à affronter l’armada turque puis se retira dans le port de Sitia, dans l’est de l’île. La ville de La Canée tomba après deux mois de bombardements, depuis la mer et depuis la terre ; en octobre une contre-attaque, pour reprendre la ville, échoua. Les Turcs profitèrent de l’hiver 1645-1646 pour occuper le nord-ouest de l’île, sans rencontrer beaucoup d’opposition de la part de la population qui détestait les Vénitiens qui les écrasaient d’impôts. En novembre 1646 c’est la ville de Réthymnon qui fut prise, après un siège de près d’un mois. Les Vénitiens pouvaient difficilement affronter sur terre les 50 000 hommes débarqués sur l’île par les Ottomans. Cependant ils ne restèrent pas inactifs et tentèrent de tirer profit de leur supériorité maritime pour couper le ravitaillement des troupes turques installées en Crète en bloquant le détroit des Dardanelles, notamment sous le commandement de Tommaso Morosini, le frère de Francesco Morosini. Les Turcs purent cependant approvisionner leurs troupes depuis d’autres territoires qu’ils occupaient : l’Égypte, l’île de Rhodes ou la Morée, actuel Péloponnèse. L’année 1647 vit les Turcs achever leur conquête de la partie occidentale de l’île et commencer l’occupation de la côte méridionale jusqu’à Iérapétra. Les troupes turques, commandées par le Pacha Gazi Hussein (Gazi Hüseyin Paşa), apparurent devant les immenses murs de Candie au début de 1648 ; les hommes campèrent près du fleuve Giofyros (Γιόφυρος), situé à l’ouest de la ville, attendant l’arrivée des canons lourds qui devaient être débarqués à La Canée et tirés par des captifs à travers les sentiers de montagne de la côte nord jusqu’à Candie. Le premier acte des Ottomans fut de couper l’approvisionnement en eau de la ville en détruisant l’aqueduc de Morosini, qui l’alimentait à partir des sources d’Agia Irini, au pied du mont Giouchtas. Les canons arrivèrent en mars 1648 et furent installés sur les collines autour de la ville. Les attaques commencèrent en juin 1648 ; les Ottomans choisirent d’abord d’attaquer la forteresse par le sud, c’est-à-dire par la section des bastions les plus puissants (Vitturi, Jésus, Martinengo), car ils pensaient à tort que le niveau supérieur du sol en dehors des fossés devrait leur donner un avantage. Les Turcs tentèrent également d’atteindre la forteresse par des sapes creusées par des sapeurs, mais la méthode échoua, car les Turcs ne connaissaient pas encore cette technique. En décembre 1648, après ce premier échec, le Pacha Hussein leva le siège. À Constantinople, en mars 1648, les janissaires avaient renversé le sultan Ibrahim Ier et mis à sa place son fils Mehmed IV, âgé de six ans. De leur côté les défenseurs de Candie s’installèrent dans leur rôle d’assiégés, améliorant sans cesse les fortifications sous le commandement de Francesco Morosini, celui-là même qui avait repris Athènes aux Turcs, Alvise (Luigi) Mocenigo étant Provéditeur Général de la Mer. Pendant les 21 années qui suivirent, ils durent subir 69 assauts et effectuèrent 89 sorties ; la mer était la seule issue pour la population de Candie, qui ne comptait que 5 000 soldats et 10 000 civils. Le 28 février 1649, le jeune sultan Mehmed IV, ou son entourage, ordonna la construction de trois petites forteresses autour des murs de Candie. Durant l’année 1649, une nouvelle attaque eut lieu, entre les mois d’août et d’octobre, contre le côté sud-ouest de la forteresse, du bastion de Martinengo au bastion du Pantocrator (Panigra), mais sans succès ; une partie des troupes turques se souleva, demandant à rentrer chez eux. Au début de l’hiver, les Ottomans se retirèrent, réalisant que la conquête de Candie ne serait pas une tâche facile ; ils commencèrent la construction d’une quatrième forteresse plus grande sur les collines de Marathitis (Μαραθίτης), à 6 km au sud de Candie, là où se trouve de nos jours le village connu sous le nom de Fortezza (Φορτεσσα), village qui s’est développé à l’intérieur des murs de la forteresse au XVIIIe siècle. La forteresse était nommée par les Turcs İnadiye, ce qui signifiait « contre Candie (Kandiye) », et Enandia ou Candia Nova par les Vénitiens. Cette citadelle défendue par six bastions était une véritable ville de plus de 60 000 habitants, démontrant la volonté des Ottomans de se préparer à un siège de longue durée ; elle fut achevée en 1652, mais un des six bastions avait été détruit par un glissement de terrain. Entre 1650 et 1666 l’activité militaire baissa en intensité, avec des attaques toujours repoussées, des creusements de galeries de sape et des bombardements, quand les stocks de boulets le permettaient ; la flotte vénitienne de Mocenigo parvint en effet à couper le ravitaillement des troupes turques, comme en 1650 à Malvoisie (Μονεμβάσια / Monemvásia), au sud-est de la Morée, ou, en 1651, à Paros. Pendant le siège de Candie les Turcs continuèrent leur conquête du reste de l’île ; en 1651 les troupes turques prirent Sitia, dont les habitants furent évacués vers Candie ; à part quelques forteresses isolées, Candie était la seule parcelle de la Crète à ne pas être occupée. Après la mort au combat de Luigi Mocenigo en 1654, son successeur, Tommaso Morosini, parvint, en 1656, à réaliser le blocus des Dardanelles et c’est Constantinople qui connut alors la disette. L’année suivante, les Vénitiens, commandés par l’amiral des galéasses Lazzaro Mocenigo, entrèrent même dans le détroit pour aller bombarder la capitale ottomane, mais Mocenigo fut tué et la flotte dut battre en retraite. À partir de 1660 la guerre s’enlisa malgré l’arrivée de contingents de combattants et de navires européens : Français, Allemands, Savoyards, Croates … En 1666, la situation changea soudainement : ayant signé la paix avec l’Autriche, en 1664, le nouveau Grand Vizir nommé par Mehmed IV, le Pacha Ahmed Köprülü, le soi-disant Fazıl (le Sage), (Köprülü Fazıl Ahmet Paşa), un homme habile, ambitieux et cruel, voulait en finir avec la guerre de Crète ; il envoya en Crète des renforts importants qu’il commandait lui-même, près de 80 000 hommes provenant de toutes les provinces de l’Empire ottoman, armés des plus gros canons en service en Europe. Face à lui se tenait le condottiere Ghiron Francesco Villa, puis Francesco Morosini, de nouveau nommé commandant des forces terrestres de Crète en 1667, qui commandait une garnison d’environ 14 000 hommes. Le 28 mai 1667, Köprülü attaqua le côté sud-ouest de la forteresse, du bastion de Martinengo au bastion de Saint-André, avec 300 canons. Les Ottomans réussirent à détruire la contrescarpe tenant le remblai du fossé en face du bastion du Pantocrator, à occuper la forteresse extérieure et à entrer dans le fossé devant le bastion, qui était maintenant sous une forte pression. Durant tout l’été 1667, l’attaque des assiégeants se développa en direction du ravelin de Mocenigo, en avant du bastion de Bethléem, et face aux ouvrages avancés qui couvraient le bastion de la Panigra. Les attaques se poursuivirent indéfiniment jusqu’en novembre. Le 15 novembre 1667, l’ingénieur militaire vénéto-crétois Andrea Barozzi fit défection du côté ottoman et fournit à Köprülü des détails sur la construction et sur l’état des murailles, révélant la faiblesse des deux bastions situés du côté mer, Sabbionara et Saint-André. Ces deux bastions, en raison de leur position, n’étaient pas complets, car ils possédaient chacun un seul orillon (orecchione) et une seule terrasse basse (piazza-bassa) pour les canons ; ils étaient plus bas que les autres et surtout, ils ne pouvaient pas être minés par les défenseurs puisque le bastion de Saint-André était construit sur un sol rocheux et le bastion de Sabbionara sur une plage de sable. Barozzi conseilla également les Ottomans sur la méthode de sape. Sous les instructions de Barozzi, les Ottomans tournèrent leurs armes vers les bords nord des murs, plutôt que contre les bastions de Panigra et de Bethléem. Le 10 novembre 1667, le bombardement du bastion de Saint-André commença. Le 10 décembre, des forteresses extérieures commencèrent d’être construites par les Turcs en face des deux bastions du bord de mer ; les assiégés comprirent le changement de la tactique d’attaque et tentèrent de prendre des mesures défensives, mais sans succès. Le 11 juin 1668, une nouvelle attaque fut portée, cette fois contre le bastion de Sabbionara, provoquant une rupture de 140 m de largeur sur son flanc. Une brèche de 160 m de largeur fut aussi ouverte sur le bastion de Saint-André du côté ouest. Le 24 septembre les Vénitiens tentèrent une sortie générale qui se termina dans un bain de sang ; les effectifs de la garnison ne comptaient plus que moins de 7 000 hommes. En novembre 600 volontaires français arrivèrent sous le commandement du duc de La Feuillade ; celui-ci voulut faire acte de bravoure en organisant une sortie avec 1 000 hommes, dont beaucoup furent massacrés. En janvier 1669, la situation des assiégés, très affaiblis, était désespérée. Le bastion de Saint-André et la première digue de défense, le dénommé « mur des Français », avaient été conquis et les défenseurs avaient battu en retraite derrière la deuxième digue. Sur le bastion de Sabbionara, à la place du drapeau de Saint Marc, flottait le drapeau à double hache, emblème des janissaires. L’émotion était grande dans l’Europe chrétienne ; le différend opposant les Vénitiens aux Turcs se transforma en guerre de religion et mobilisa l’Europe occidentale : des combattants arrivèrent de France, d’Autriche, de Bavière, du Portugal, d’Italie et cetera. Le roi de France Louis XIV envoya une force navale dirigée par le petit-fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées, François de Bourbon-Vendôme, duc de Beaufort ; les vaisseaux portaient 6 000 combattants, sous le commandement du maréchal de Navailles, qui arrivèrent le 19 juin. Dans la nuit du 24 au 25 juin, une nouvelle sortie héroïque des Français, comprenant 5 000 hommes, échoua et le duc de Beaufort fut tué. De même le bombardement des troupes ottomanes par la flotte des forces chrétiennes, le 25 juillet, n’eut pas plus de succès. L’explosion qui coula le navire amiral « La Thérèse » mit fin aux tentatives des Français. Le corps expéditionnaire français, qui avait perdu un millier d’hommes, parmi lesquels le sieur du Buat, gendre du dramaturge Pierre Corneille, dut être rapatrié le 20 août. Les autres contingents européens furent découragés. Le 5 septembre 1669, voulant éviter le pillage et le massacre, le dernier défenseur héroïque de Candie, Francesco Morosini, choisit la capitulation. Selon les termes du traité, signé le 16 septembre 1669, les Vénitiens remirent l’intérieur des terres aux Ottomans, à l’exception des forteresses de Gramvoussa, de Souda et de Spinalonga ; en retour, les citoyens de Candie avaient douze jours pour abandonner la ville, emportant leurs fusils, leurs trésors et leurs documents ; la garnison était, quant à elle, autorisée à sortir de la place, enseignes déployées. Grâce à cet accord, les précieuses archives d’État de Candie furent transférées en toute sécurité à Venise. Lorsque, le 4 octobre 1669, les troupes ottomanes entrèrent dans Candie, mettant un terme à quatre siècles et demi de présence vénitienne, la cité était en ruines et déserte, à l’exception de quelques dizaines de juifs et de renégats. Environ 30 000 chrétiens et 120 000 musulmans, dont près de 25 000 janissaires, avaient péri au cours de ce siège qui marqua la fin de l’hégémonie vénitienne en Méditerranée orientale. Plus tard, Morosini fut accusé par l’État de Venise de trahison, pour être finalement déclaré innocent. Néanmoins, l’amour pour la ville qu’il avait défendue pendant 21 ans peut être facilement mesuré par les symboles crétois placé sur son drapeau, conçu par le célèbre peintre crétois Victor, actuellement exposé au Musée Correr à Venise, et par le don de son écusson et de sa couronne à la Vierge Mesopanditissa (Παναγία Μεσοπαντίτισσα), la « Médiatrice de la Paix », l’icône miraculeuse de Candie, peinte vers le XIIe siècle, qui fut apportée à Venise par Morosini et qui est de nos jours abritée sur le maître-autel de la basilique Santa Maria della Salute. |
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