| L’île de Cabrera à Majorque | |
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| Présentation générale | L’île de Cabrera (Illa de Cabrera / Isla de Cabrera) est la plus grande île de l’archipel de Cabrera ; l’archipel de Cabrera fait lui-même partie de l’archipel des îles Baléares ; il est situé au sud de Majorque, la plus grande des îles Baléares, et dépend administrativement de la capitale de Majorque, Palma de Majorque. À partir de 1916 l’île de Cabrera appartint au Ministère espagnol de la Guerre et fut parfois utilisée comme champ de manœuvre ; cependant cette présence militaire a évité à Cabrera d’être envahie par les touristes et a permis la préservation de son écosystème exceptionnel. Depuis 1991, l’archipel de Cabrera est devenu un Parc national terrestre et maritime, inconstructible ; l’île de Cabrera est la plus petite île habitée des Baléares et ne compte qu’une population résiduelle et une petite garnison militaire. Il faut une autorisation des autorités militaires pour y séjourner au-delà d’une journée. |
| Étymologie et toponymie | Le toponyme de Cabrera (« chevrière ») provient de l’importante population de chèvres qui y vivait depuis les temps les plus anciens. Les Romains nommaient eux-mêmes l’île « Capraia », le même nom que l’île de Capri, dans la baie de Naples en Italie. Cette population de chèvres fut retirée de l’île au XXe siècle car les chèvres empêchaient le développement de toute végétation, en broutant les jeunes pousses. |
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| L’archipel de Cabrera est séparé de Majorque par le canal de Cabrera, large de 5 milles nautiques. L’île de Cabrera est située à environ 16 km de la pointe sud-est de Majorque, le cap de Ses Salines. Cependant Cabrera dépend de la municipalité de Palma de Majorque distante d’environ 50 km. Pendant longtemps Cabrera dépendit de la paroisse Sainte-Croix dans le quartier Sainte-Catherine (Santa Catalina), le quartier des pêcheurs de Palma. Le port de Cabrera est à une vingtaine de km (10 milles nautiques) du port de Colónia de Sant Jordi, le port le plus proche qui dessert l’archipel. Coordonnées du port de Cabrera : latitude 39°08’43” N ; longitude 2°56’13” E |
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| L’île de Cabrera | L’île de Cabrera est la plus grande des dix-neuf îles et îlots qui composent l’archipel de Cabrera ; elle a une longueur maximale de 5,53 km dans la direction nord-sud, depuis le Cap Ventós, au nord-est, jusqu’à la Punta de n’Ensiola, au sud-ouest ; sa largeur maximale est de 5,29 km dans la direction est-ouest, depuis le Cap de Llebeig, au nord-ouest, jusqu’au cap de l’Imperialet, au sud-est. Sa superficie est de 15,69 km², et la longueur de sa côte est de 38,3 km. Cabrera est la cinquième plus grande île des Baléares (après Majorque, Minorque, Ibiza et Formentera) et la plus grande île inhabitée de la Méditerranée. Cette côte est très découpée, de sorte que le littoral de Cabrera représente 3 % du littoral des Îles Baléares alors que sa superficie ne représente que 0,2 % de la superficie des Baléares. Ce littoral comprend de belles falaises, des caps impressionnants, des rochers côtiers, des criques profondes, plusieurs grottes d’une grande beauté et des plages de sable comme les trois plages publiques de la baie du port (Sa Platgeta, Platga d’es Pagès et S’Empalmador), où l’on peut parfois croiser la famille royale espagnole. | Le territoire de l’île est assez plat avec cependant trois chaînes parallèles de collines qui barrent l’île dans la direction nord-ouest / sud-est, et que séparent de profondes criques :- la première de ces chaînes est la plus marquée : elle commence au Cap de Llebeig, à l’extrémité nord-ouest de Cabrera, et se termine à l’îlot de l’Imperial à l’extrémité sud-est. Cette chaîne comprend les plus hautes collines de l’île, avec Na Picamosques (172 m), et Penyal Blanc (« Rocher Blanc ») (161 m). Au sud-ouest de cette chaîne se trouve la Serra de Figueres, qui se termine par d’imposantes falaises dans la région de Na Picamosques et du Cap Rouge (Cap Vermell / Cabo Rojo) ; à l’extrême pointe sud-ouest se trouve la Punta de l’Enciola et son phare, avec des falaises de 99 m de hauteur ; à l’extrémité sud la chaîne se termine par l’îlot de S’Estell de Fora. Sur le versant nord-est de la chaîne se trouvent les seules terres un peu fertiles de Cabrera, connues sous les noms de « Sa Vinya » et de « Ses quatre quarterades ». Au nord-ouest, cette première chaîne est séparée de la deuxième chaîne par la crique du port de Cabrera.
| - la deuxième chaîne de collines commence à Punta des Revellar, au nord-ouest et se termine à Punta des Codolar et à l’Illa de ses Bledes, au sud-est. Ses collines sont de hauteur plus modeste que celles de la première chaîne, avec un sommet comme Na Bella Miranda (de 158 m). À l’extrémité nord-ouest de cette chaîne de collines se trouve l’imposant château de Cabrera. Au nord-ouest cette deuxième chaîne est séparée de la troisième par la profonde crique Cala Santa Maria – où se trouve la célèbre Cova Blava (« Grotte Bleue ») et, au sud-est, par la crique de L’Olla (« le pot »).
- la troisième de ces chaînes de collines commence au Cap des Morobutí, à l’extrémité nord de l’île, et se termine au Cap Ventós (« le Cap des Vents »), à l’extrémité est. C’est le plus modeste des trois alignements, mais il atteint quand même des hauteurs impressionnantes près du Cap Ventós, avec une altitude de près de 150 mètres, et des falaises de 120 m de hauteur.
De nombreux sentiers de randonnée pédestre permettent de découvrir ces paysages, dont celui du château de Cabrera, celui du phare ou encore celui qui rejoint la grotte de Cova Blanca. L’écosystème étant extrêmement fragile, certains de ces sentiers nécessitent d’être accompagné d’un guide ou de demander une autorisation auprès des autorités du parc, par exemple les chemins qui mènent au phare de L’Enciola (4 heures de marche), à la partie sud de la Serra de Ses Figueres (2 heures ½) ou le point culminant de l’île, le Picamosques (3 heures). |
| Le port de Cabrera | L’île de Cabrera et les grands îlots de l’archipel de Cabrera ont été visités par les grandes civilisations méditerranéennes : les Phéniciens, les Carthaginois, les Romains et les Byzantins. La navigation à voile, soumise aux aléas des courants et des vents, se limitait essentiellement à une série de routes précises. Certaines de ces routes passaient très près de l’archipel de Cabrera et étaient parmi les plus empruntées par les anciens navigateurs. Il s’agissait en premier lieu de la route maritime qui, depuis le détroit séparant la Sicile de Carthage, passait par le sud de la Sardaigne, puis par le sud des Baléares et, longeant le sud de la péninsule ibérique, allait jusqu’au détroit de Gibraltar. Une autre route de navigation est-ouest très importante était celle qui, partant de la péninsule italique, passait par le détroit de Bonifacio, puis à nouveau par le sud des îles Baléares, vers le sud de la péninsule ibérique, pour atteindre Gibraltar. Cette seconde route pouvait également être empruntée en sens inverse. Par conséquent, lorsque les navigateurs passaient au sud des Baléares, l’ensemble d’îlots de l’archipel de Cabrera constituait un excellent point de référence pour la navigation. De plus, sur certaines routes nord-sud ou sud-nord du centre de la Méditerranée occidentale, on pouvait également voir le sous-archipel et faire escale dans son port. Le port de Cabrera est un port naturel en eau profonde, l’un des meilleurs ports de la Méditerranée, à l’abri de tous les vents. Cabrera réunissait les conditions idéales pour une escale. Ceci est principalement dû à deux facteurs : la présence d’eau potable durant toute l’année et son port, idéalement situé à l’abri des vents et des tempêtes et qui se distingue par une importante calaison. De plus, il était également possible d’utiliser le bois de la région et de profiter des ressources alimentaires fournies par les animaux de l’île – principalement des chèvres – circulant librement dans l’île, ou par l’abondant poisson de la région. La seule difficulté, pour les navigateurs qui décidaient de passer par l’archipel de Cabrera, était, comme le dit Pline, le danger de ses eaux. On en veut pour preuve le grand nombre de bateaux s’étant échoué à proximité de son port, notamment aux époques carthaginoise et romaine. |
| Le château de Cabrera (Castell de Cabrera / Castillo de Cabrera) | Après la conquête catalane de Majorque, en 1229, Jaume Ier attribua l’île de Cabrera à l’évêque de Tarragone, qui transmit son usufruit à un chevalier en échange d’une rente annuelle. La plupart de ces premiers seigneurs – comme Bernat de Claramunt, Guillem Huguet et Pere de Malbosc – sont très connus grâce à la documentation existante : il s’agissait de nobles résidant à Palma et qui exploitaient Cabrera comme toutes leurs autres propriétés ou possessions de Majorque. Les seigneurs de Cabrera avaient le droit de louer les pâturages pour le bétail apporté de Majorque et les terres pour y planter des vignes, ainsi que le droit de pêcher ; ils possédaient le monopole du transport et celui de la taverne, et n’exploitaient directement que la réserve seigneuriale de faucons. Cependant, au cours des XIIIe et XIVe siècles, après la défaite musulmane, l’île de Cabrera et son port naturel furent utilisés comme base d’attaques contre la côte majorquine par les pirates barbaresques. Les pirates maures – que la population nommait « amorros » – ancraient leurs navires dans la baie de Cabrera pendant la journée et traversaient le canal de Cabrera pendant la nuit pour attaquer les ports et les villages de Majorque ; les pirates utilisaient aussi le port de Cabrera comme base pour intercepter les navires marchands qui se dirigeaient vers la baie de Palma ou en sortaient, notamment les navires qui ravitaillent Majorque en blé de Sicile. À la fin du XIVe siècle, un seigneur de Cabrera, Guillem Saragossa, fit construire une tour de guet sur le promontoire rocheux surplombant le port ; une petite garnison de gardes pouvait avertir les villageois de la côte sud de Majorque de l’imminence d’une attaque, au moyen de signaux de feu et de fumée. La tour fortifiée fut construite sur le « Puig d’Es Castell », à 72 m au-dessus du niveau de la mer, et, de là, dominait Es Port, le cap de la Punta de Sa Creueta et le Cap Llebeig qui ferment l’embouchure du port. Le premier document qui mentionne l’existence d’un château à Cabrera date de 1407. Au cours du XVIe siècle, l’importance défensive de l’archipel de Cabrera fut accrue du fait que les îles Baléares devinrent une frontière géographique entre deux ennemis de la monarchie espagnole de la Maison d’Autriche : d’une part, l’Empire ottoman, qui contrôlait l’Algérie depuis 1529, et d’autre part la France. En 1542, l’alliance franco-turque fut signée contre Charles Quint (Carlos Ier d’Espagne), empereur du Saint-Empire romain germanique. Dès lors, on ne put plus parler d’attaques de pirates ou de corsaires contre les populations du littoral majorquin et minorquin, mais de véritables actes de guerre doublés de la menace de la conquête et de l’occupation des îles Baléares. Le château de Cabrera fut agrandi et renforcé. Les attaques des Turcs – que la population continue de nommer « amoros » – contre Cabrera étaient alors nombreuses et permanentes : parmi les attaques les plus connues, on trouve celle du corsaire Barberousse, en 1531, et celle de Dragut, en 1550. Ces incursions débouchaient invariablement sur la capture et la mise en esclavage de la garnison, et le démantèlement et la destruction du château ; cela rendait inutile toute reconstruction ultérieure, car cela ne faisait que vider les caisses de l’Université de la Palma – devenue propriétaire de l’archipel – et celles du Royaume de Majorque. Ainsi, les autorités Palma refusèrent de construire une tour de guet sur la plus haute colline de Cabrera à un moment où de telles tours étaient construites tout autour de l’île de Majorque. La menace pirate ne diminua qu’après la défaite de la flotte ottomane, vaincue par la Sainte-Ligue à la bataille de Lépante, au large des côtes de la Grèce, en 1571. En 1663, la famille Sureda devint propriétaire de l’île et fit construire le château de forme hexagonale, à trois étages, que nous voyons aujourd’hui. Au début du XIXe siècle, le château servit, pendant quelque temps, de prison pour les officiers subalternes français de l’armée napoléonienne qui avaient été faits prisonniers à la bataille de Bailén, puis il servit d’hôpital pour les prisonniers frappés par la famine et la maladie. | En 1982, le château fut restauré et les éléments qui n’appartenaient pas à la conception de base furent supprimés. Aujourd’hui, le château fait partie des circuits de visite de l’île et constitue l’un de ses principaux attraits : après 20 à 30 min de marche sur un sentier qui serpente jusqu’au promontoire où est bâti le château, on est récompensé par de superbes vues sur la baie d’Es Port. |
| Le site archéologique de Ses Figueres | Le site de la Pla de Ses Figueres est l’un des sites archéologiques les plus importants des îles Baléares : il réunit plusieurs rares témoignages du passé de Cabrera, regroupés en trois zones fouillées par des archéologues de Palma de Majorque :- au sud-ouest du gisement, sur la côte près de Sa Platgeta, se trouvent les vestiges d’un atelier de salaison de poissons, datant de l’époque de l’Empire romain (VIe et VIIe siècles) ; on peut y voir une douzaine de réservoirs, creusés dans la roche ou construits en pierres jointées par du mortier, qui étaient utilisés pour la production de salaisons.
- au nord il y a les ruines des baraquements des prisonniers français de l’armée napoléonienne ;
- au nord-est, à environ 150 m du rivage, se trouvent les ruines de la nécropole d’un monastère byzantin et les ruines de ce qui a pu être un atelier de production de pourpre, utilisée pour la teinture, notamment la teinture des toges romaines.
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| Les ruines des baraquements des prisonniers français | En 1806, Napoléon déclara le blocus continental, c’est-à-dire l’interdiction des importations britanniques en Europe ; seul le Portugal refusa d’obtempérer et continua de commercer avec la Grande-Bretagne. Après que l’Espagne et la France eurent signé le traité de Fontainebleau, Napoléon répliqua en envoyant trois armées vers le Portugal, en traversant l’Espagne. Par ce traité, le Premier ministre d’Espagne, Manuel de Godoy, espérait s’emparer du Portugal et de sa flotte, mais il fut trompé par Napoléon et des troupes françaises restèrent en Espagne ; le roi d’Espagne, Charles IV, fut contraint d’abdiquer et fut remplacé par le frère de Napoléon, Joseph Bonaparte. Le 2 mai 1808 (« el Dos de Mayo »), le soulèvement populaire de Madrid, contre l’occupation française, fut brutalement réprimé et des centaines de personnes furent exécutées. C’est ainsi que débuta la guerre d’indépendance espagnole, également connue sous le nom de guerre contre les Français (1808-1814). L’une des premières batailles eut lieu le 19 juillet 1808 à Bailén, dans le sud de l’Espagne ; l’armée française du général Dupont de l’Étang fut vaincue par les troupes espagnoles du général Castaños. Sur les 21 000 soldats et officiers français engagés, environ 18 000 furent faits prisonniers. Le 22 juillet 1808, une convention de reddition fut signée à Andújar ; cette convention stipulait que les prisonniers français devaient être renvoyés en France depuis Cadix, à bord de navires anglais ; elle ne fut pas respectée : les Anglais, alliés des Espagnols, refusèrent de restituer une armée qui pourrait renforcer les rangs ennemis. Seuls les officiers des grades les plus élevés, comme Dupont, furent renvoyés en France, où ils subirent la colère de Napoléon, qui considérait la capitulation de Bailén comme une capitulation lâche ; le général Dupont fut arrêté à son arrivée à Toulon, le 21 septembre 1808, puis destitué en 1812. Les autres prisonniers furent emmenés à Sanlúcar de Barrameda près de Cadix et entassés dans des pontons (navires-prisons) – dans des conditions sordides – pendant l’hiver 1808-1809, en attendant de décider de leur sort. Mais une fièvre épidémique fit de tels ravages parmi les prisonniers que le gouverneur militaire de Cadix, craignant que la ville pût être infestée, décida de déporter les survivants dans les îles : 4 000 prisonniers furent envoyés aux îles Canaries, où ils se fondirent à la population. Les autres prisonniers – environ 9 000 – furent destinés à l’archipel des Baléares, où ils devaient être répartis entre Majorque, Minorque et Ibiza. Leur voyage débuta le 9 avril 1809, à partir de la baie de Cadix, les navires de transport étant escortés par des navires de guerre dans le détroit de Gibraltar vers la mer Méditerranée. Le voyage fut pénible en raison de sa durée (4 mois en mer), de la surpopulation et des tempêtes ; la dysenterie s’étendit à bord. Quand les navires arrivèrent enfin dans la baie de Palma, les autorités de la ville refusèrent de les laisser venir à terre, effrayées par la possibilité d’émeutes ou de la propagation de la maladie. Même après que les prisonniers eurent passé beaucoup de temps à l’hôpital d’isolement de Port-Mahon à Minorque, seuls les officiers supérieurs furent autorisés à débarquer à Palma ; les officiers subalternes, sous-officiers et soldats furent débarqués à Cabrera. Jusqu’à l’arrivée des prisonniers français, en 1909, l’île de Cabrera était dépeuplée, ainsi qu’en témoignait le cardinal Despuig à la fin du XVIIIe siècle. Les officiers subalternes furent logés dans le château, mais rejoignirent les officiers supérieurs à Majorque peu de temps après ; les hommes de troupe créèrent une ville de fortune sur le côté sud de la baie. En dehors de quelques lapins et de chèvres, les seules créatures vivantes étaient des lézards et un âne qu’ils appelèrent Robinson, et qui devint la mascotte des prisonniers. Par ailleurs, il n’y avait sur l’île qu’une seule source d’eau potable. L’approvisionnement des prisonniers en eau et en nourriture venait de Majorque tous les quatre jours, offrant le minimum de vivres pour survivre jusqu’à la prochaine livraison. Un problème survint lorsque, en raison des tempêtes dans le canal qui sépare l’île de Cabrera de Majorque, l’envoi fut retardé ; il se passa huit jours sans rien envoyer aux prisonniers de l’île. Quand le navire d’approvisionnement arriva enfin, les prisonniers, furieux contre les fournisseurs, tentèrent de s’emparer du navire. La tentative échoua, mais les fournisseurs refusèrent de revenir. Le remplacement du fournisseur prit jusqu’à trois mois et cela provoqua une famine parmi les prisonniers français. Bientôt l’âne Robinson fut mangé, ainsi que la faune sauvage, mais les prisonniers mangèrent aussi des plantes, dont beaucoup se révélèrent toxiques. L’hiver arriva, et les vents violents et la pluie s’abattirent sur les minuscules abris, qui furent finalement emportés par une inondation. Beaucoup d’hommes succombèrent à la maladie et à la malnutrition. Dans les situations les plus extrêmes, certains en arrivèrent, pour survivre, à pratiquer la coprophagie et le cannibalisme. Malgré tout, les prisonniers adoucirent leurs conditions de captivité en s’imposant une certaine organisation et en se consacrant à des tâches diverses, comme la fabrication de produits artisanaux en bois de sabine ou de buis (c’est le cas d’un fameux jeu d’échecs, propriété de la famille Quetglas ou d’une ménagère en bois de la famille Feliu), de paniers en jonc ou d’outils divers en métal ; ils semèrent aussi différentes cultures (pommes de terre, fèves) et élevèrent des animaux (des rats) pour leur autosubsistance ; ils construisirent et habitèrent de petites maisons ; ceux qui étaient lettrés enseignèrent les autres ; ils représentèrent des pièces dans un théâtre construit dans une grotte surplombant le port, et cetera. Au fil du temps, les prisonniers créèrent un marché interne dont la fève était la monnaie d’échange, et un second marché d’échanges avec Majorque, vers lequel ils exportaient une bonne partie de leur production en échange de matières premières et d’ustensiles divers. La plupart de ces activités, parfaitement décrites dans les mémoires des prisonniers ayant survécu, ont été confirmées par les fouilles archéologiques réalisées en 2003 sur un groupe de maisons de prisonniers français situé dans la plaine de Ses Figueres. Outre les structures architecturales, on y a trouvé des vestiges de fonte de métaux, des pots en céramique (chaudrons, casseroles) très bien conservés, des fèves carbonisées et des boutons et boucles d’uniformes. Le château fut transformé en hôpital et accueillit un grand nombre de malades. Pendant ce temps les autorités espagnoles ne faisaient rien, si ce n’est déverser encore plus de prisonniers sur l’île, 3 000 autres en plus de six ans. Napoléon – qui n’avait jamais accepté la reddition de Baylen qu’il considérait comme une capitulation honteuse – refusa de négocier la libération des prisonniers. La captivité prit fin en mai 1814 – juste après l’abdication de Napoléon en avril 1814 – avec la signature de l’armistice entre la France et les alliés. Sous la Première Restauration, le général Dupont fut nommé ministre de la Guerre par Louis XVIII : il n’oublia pas les hommes qui avaient combattu en Espagne sous son commandement. Le mois suivant deux convois, arborant le pavillon blanc de la royauté, rapatrièrent en France 3 700 hommes, directement depuis Cabrera. Chargé de rapatrier les survivants, l’enseigne de vaisseau Louis Pujol a laissé un témoignage poignant des conditions de séjour dramatiques qu’il y découvrit. « Rien de ce qu’ont évoqué les romanciers n’approche l’affreuse réalité que j’ai sous les yeux » Cabrera fut le premier camp de concentration de l’histoire, où près de 12 000 hommes vécurent pendant cinq ans dans des conditions inhumaines. Environ 5 000 de ces hommes – près de 40 % – avaient péri au cours de leur détention et étaient enterrés dans des tombes anonymes. Le désir des autorités espagnoles, avec la complicité du gouvernement anglais, était non seulement de les rendre inoffensifs mais aussi de les exterminer par une mort lente. Les difficiles conditions de cette captivité furent décrites par quelques uns des survivants dans leurs mémoires, parmi lesquelles les plus connues sont celles de Wagré, de Gille et de Ducor. En 1847, le Prince de Joinville, fils du roi Louis-Philippe Ier, fit ériger un mémorial aux Français morts à Cabrera. Dans un roman historique « Les Prisonniers de Cabrera », publié en avril 2009 aux Presses de la Cité, Michel Peyramaure décrit le calvaire oublié de ces prisonniers napoléoniens. |
| La nécropole byzantine | « Parce que nous avons eu connaissance du fait que les moines du monastère qui se trouve sur l’île de Capria, située tout près de Maiorica, qui est également une île, ont souillé leurs vies de divers crimes, ce qui prouve que, plus que servir Dieu, ils combattent – et nous l’avouons en pleurant – au service de l’antique ennemi [Satan]. » Saint Grégoire - Épistole XIII (alentours de l’an 603) Cette lettre du pape Grégoire le Grand, écrite vers 603 après JC, témoigne sans équivoque de la présence d’une communauté monastique dans l’archipel de Cabrera aux temps de la domination byzantine des Baléares. Ce pape réprouve le comportement des moines et leur envoie un « défenseur » pour tenter de faire revenir l’ordre. Les interprétations données concernant la dénonciation de ce mauvais comportement des moines de Cabrera sont nombreuses : pratique de la piraterie, hérésie, comportements homosexuels, rejet de la suprématie ou des directives papales, et cetera. Malheureusement, le document cité n’est pas assez explicite pour pouvoir être sûr des motifs de l’intervention papale, même s’il est évident que Grégoire le Grand tente de contrôler et de régulariser une grande partie de l’état monastique d’Occident. L’établissement de ces moines dans l’archipel de Cabrera s’inscrit dans le cadre de l’idéologie du premier état monastique chrétien, qui prône un éloignement du monde urbain, afin de fuir ses vices et ainsi pouvoir vivre de façon plus chrétienne et plus proche de Dieu. C’est la raison pour laquelle les petits îlots constituent un lieu idéal pour y installer des groupes de moines, qui occupent donc de nombreuses petites îles de l’ensemble de la Méditerranée occidentale et de l’Atlantique, notamment celles situées à proximité des routes de navigation. Ces moines ont l’ambition de mener une vie modeste, éloignée de l’agitation de la société civile, et consacrée au travail et à la prière. Toutefois, ils jouent également un rôle évangélisateur, qui leur permet de garder le contact avec les populations voisines ou avec les marins de passage ; ce qui leur permet aussi de pratiquer des échanges, de recevoir cadeaux ou dons, et surtout de promouvoir de nouvelles vocations visant à assurer la continuité de leur communauté. Grâce aux travaux de prospection et aux fouilles archéologiques, on a pu constater que dans l’archipel de Cabrera, il existe une série de gisements qui semblent être intimement liés à cette communauté monacale. Tous présentent d’abondants matériaux en céramique que l’on peut situer entre les Ve et VIIe siècles après JC, et dont certains font clairement référence à la culture chrétienne. Le principal gisement de céramiques, par l’extension et par l’abondance, est celui de la plaine de Ses Figueres, qui se trouve au fond du port de Cabrera. C’est la raison pour laquelle il semble que ce soit le lieu où se trouvait le monastère où vivait la plupart des moines. Les vestiges recueillis au cours des fouilles, ainsi que le fait que les quatre dépouilles trouvées dans les tombes découvertes dans la zone soient celles d’hommes adultes, suggère qu’il s’agit des tombes de quatre de ces moines du VIIe siècle après JC. Le cimetière du monastère byzantin se trouve à proximité des vestiges du camp de prisonniers français. |
| Le musée ethnographique Es Celler | À partir de 1891, la famille Feliu devint propriétaire de la presque totalité de l’île de Cabrera ; elle le restera jusqu’en 1916, date à laquelle elle fut expropriée au profit de l’armée. Jacint Feliu planta des vignes, des caroubiers, des amandiers et des figuiers et aussi des plantes fourragères comme le sainfoin ; car il introduisit aussi des vaches, des brebis et des chèvres. Il y avait à cette époque, beaucoup d’argent à gagner dans la production vinicole car le phylloxéra avait déjà détruit le vignoble français et les vins de Majorque atteignaient des prix élevés, car, par sa situation insulaire, Majorque était protégée de l’épidémie. Cependant l’épidémie de phylloxéra finit par atteindre Cabrera. De cette malheureuse entreprise il reste la maison des Feliu, la Villa Cristina, sur le petit port, et le chai bâti par les Feliu pour produire du vin, nommé « Es Celler » (le cellier). Après que l’île de Cabrera fut déclarée Parc national en 1991, le chai fut restauré, en 1994, et transformé pour abriter un Musée d’ethnographie. Situé à quelques centaines de mètres (20 min à pied) du port de Cabrera, le Musée abrite une exposition « L’homme et la nature à Cabrera » qui présente des affiches retraçant l’histoire de l’île, l’ethnographie et l’environnement naturel de l’archipel, et un bric-à-brac de pièces archéologiques récupérées dans l’archipel et dans les eaux environnantes. À côté du musée se trouve un jardin botanique – assez mal entretenu – qui présente 72 espèces de plantes indigènes de l’île de Cabrera. |
| Le mémorial aux prisonniers de guerre français | En juin 1847, le vice-amiral prince de Joinville, troisième fils du roi Louis-Philippe, était en Méditerranée en rade de Palma à bord de son navire le « Pluton », à une courte distance de l’île de Cabrera ; ce nom frappa le jeune prince ; il se demanda si ce n’était pas dans cette île, qu’à la suite de la capitulation de Bailén, en 1808, de pauvres soldats français avaient été transportés par les Espagnols ; il apprit même qu’en passant le long de l’île, on pouvait voir de loin des ossements humains blanchis par le temps ; il ordonna de se rendre au mouillage de l’île. Les officiers et l’équipage, guidés par un Espagnol qui avait assisté à la lente agonie des captifs, recueillirent une grande quantité d’ossements qui gisaient épars dans l’île. Au dessus de l’ossuaire, il fit dresser un obélisque de granit avec cette inscription :« À la mémoire des Français morts à Cabrera, l’escadre d’évolution de 1847, commandée par Son Altesse Royale le prince de Joinville » Le mémorial se trouve dans un bois, un peu à l’ouest du Musée ethnographique ; mal entretenu et presqu’indéchiffrable, son mauvais état témoigne que ni les autorités espagnoles, ni les autorités françaises, ne sont fières de cet épisode dramatique et peu glorieux de l’aventure napoléonienne. | |
| Le phare de N’Enciola | Au milieu du XIXe siècle, en 1864, un projet de phare à la pointe de N’Enciola fut conçu par Emili Pou ; la première étape de la réalisation fut la construction du chemin qui mène de l’embarcadère à la cime de la pointe de N’Ensiola, qui devait être utilisée pour le transport des matériaux de construction. Ensuite débute la construction du bâtiment ; le chemin se vit ensuite complété par un nouveau tronçon reliant le phare et le port de Cabrera. Les travaux s’achevèrent en 1868 et le phare de N’Enciola commença de fonctionner le 15 août 1870. Un chemin de randonnée mène au phare de N’Ensiola (durée : 4 h), mais il faut une autorisation pour se rendre au phare. En contrebas du phare, à Es Cocó de l’Ancai, se trouve un trou de grandes dimensions où, jusqu’à récemment, on recueillait le sel. Un « cocó » est un trou en bord de mer où se dépose le sel marin. |
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| | L’accès à Cabrera | L’archipel de Cabrera étant un Parc national et, de plus, une zone militaire, l’accès à l’île de Cabrera est réglementé. Cabrera ne peut être visitée que durant la journée : il est interdit d’y passer la nuit. Il n’est possible d’accoster avec un bateau privé qu’après en avoir obtenu l’autorisation auprès de l’administration du Parc National, et uniquement dans le port de Cabrera (Es Port) ; le nombre de bateaux ne peut dépasser 50 par jour ; la durée de l’amarrage est limitée : une nuit en juillet et en août, deux nuits en juin et septembre, et jusqu’à sept nuits le reste de l’année. De même la plongée sous-marine en scaphandre autonome ne peut être pratiquée qu’avec une autorisation, mais la nage avec tuba peut se faire au bord des plages. La pêche, y compris la pêche sous-marine, est interdite (mais des infractions sont régulièrement observées). De ce fait la presque totalité des visiteurs viennent à Cabrera au moyen de bateaux d’excursion ; mais, dans le but de préserver l’écosystème, seulement 200 personnes par jour (300 en août) sont autorisées à visiter cet espace naturel très protégé ; il est donc recommandé de réserver son billet au moins une journée à l’avance. La plupart des bateaux d’excursion partent de Colónia de Sant Jordi, à un peu plus de 10 milles nautiques de Cabrera (environ 30 minutes) ; quelques uns partent de Portopetro, près de Cala d’Or (traversée de 75 minutes). À Colónia deux compagnies proposent différentes formules de visite : la compagnie « Excursions a Cabrera » et la compagnie « Marcabrera ». Les prix – plutôt élevés – comprennent le droit d’entrée dans le Parc national. Les excursions arrivent au petit port de Cabrera, où il y a un minuscule bureau d’information du Parc national, des toilettes publiques, un petit café (« la cantine du pêcheur ») et un espace de pique-nique abrité. Des guides du Parc national font une brève présentation de l’île et des règles de bonne conduite. | Excursions a Cabrera | « Excursions a Cabrera » propose quatre circuits différents : « Fast » (3 h, 38 € / 42 € en haute saison) ; « Express » (visite de Cabrera, 37 € / 40 € en haute saison) ; « Classic » (journée à Cabrera, de 10 h à 17 h, 35 € / 40 € en haute saison) ; « Premium » (tour de l’archipel et journée à Cabrera, 43 € / 48 € en haute saison). Le trajet le plus long permet de découvrir plusieurs petites îles peuplées d’oiseaux avant d’arriver à Cabrera. Excursions de mai à octobre. Vente des billets : Carrer Gabriel Roca s/n - Port de Colónia de Sant Jordi Téléphone : 00 34 971 649 034 Courriel : info@excursionsacabrera.es Site sur la Toile : www.excursionsacabrera.es | MarCabrera | MarCabrera propose cinq circuits différents avec des bateaux rapides. Adresse : Carrer Gabriel Roca, 20 Téléphone : 00 34 971 656 403 Site sur la Toile : www.marcabrera.com |
| Restaurant | Il n’existe qu’un petit café sur le port de Cabrera ; les compagnies d’excursion proposent des casse-croûtes à consommer à bord ou à emporter en pique-nique (environ 7 €). |
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