| Le palais el Badiâ à Marrakech au Maroc | |
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| Présentation générale | Le palais el Badiâ, Dar el Badiâ, désigne l’ensemble palatial construit par le plus illustre des sultans saadiens, Ahmed el Mansour, surnommé Al-Dhahbî (le doré), en arabe أبو العباس أحمد المنصور, sixième sultan de la dynastie saâdienne. Pour bâtir cette œuvre grandiose, le sultan choisit le coin nord-est de la kasbah ; l’emplacement avait l’avantage de jouxter les appartements privés et inviolables du sultan, le palais étant destiné aux fêtes et aux audiences solennelles où le faste du souverain pouvait se manifester à l’élite du royaume et aux ambassades étrangères. Il fut l’objet de plusieurs récits et poèmes. Les descriptions anciennes nous dépeignent également le somptueux décor du Badiâ qui ne nous est connu qu’à travers le décor des tombeaux saâdiens. La conception de ce joyau de l’art islamique a été influencée par l’Alhambra de Grenade. |
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| | Pour construire ce palais, le sultan choisit un ancien jardin almohade qui se trouvait dans le coin nord-est de la casbah royale des Almohades, à proximité de ses appartements privés. Les savants astrologues et les personnalités religieuses consultés approuvèrent le choix du roi et fixèrent le début des travaux au mois de Chawal 986 (30 décembre 1578). |
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| | Le palais El Badiâ | Ce bel ensemble palatial constitue un témoignage précieux pour la connaissance de l’architecture marocaine du XVIe siècle. Les apports et les influences étrangères y sont nombreux : la disposition générale du palais et son décor attestent une influence de Grenade, son plan s’inspirant vraisemblablement du palais de l’Alhambra, laissant à penser que l’architecte, quoique inconnu, devait être originaire de Grenade. À la cour des Lions à Grenade, on retrouve les pavillons qui se dressent au milieu des petits côtés, ainsi que le système de canaux et de bassins de rafraîchissement. La cours des Myrtes nous fournit également un exemple de bassin allongé similaire à celui du palais El Badiâ. Des textes anciens nous fournissent des indications précieuses pour comprendre la structure du palais El Badiâ, comme celui du portugais P. Francisco de S. Juan del Porto de 1585, illustré d’un plan, ainsi qu’un plan dessiné par l’anglais Windus en 1727. Le plan portugais indique que la muraille du palais était flanquée de quatre tours d’angle. L’accès se faisait par un grand nombre de portes dont la principale, qui portait le nom de Bab Al-Rokham, Porte du marbre, s’ouvrait dans l’angle sud-ouest de la face sud du palais. D’autres portes mentionnées par les chroniqueurs s’ouvraient sur les faces sud, est et ouest. | | Une symétrie presque absolue s’est imposée dans le plan de cette magnifique demeure construite entièrement sur voûtes de briques d’une grande solidité. L’ensemble palatial s’ordonnait autour d’une immense cour rectangulaire de 135 m sur 110 m, au milieu de laquelle fut aménagé un bassin de 90 m sur 20 m au centre duquel s’élevait une fontaine monumentale surmontée de deux vasques superposées et surmontées d’un jet d’eau ; ce massif était accessible à pied sec par le moyen de dalles portées par des colonnes. De part et d’autre de ce bassin central, quatre parterres, tracés avec art, sont couverts d’arbres et de fleurs disposés dans des carrés séparés par des allées pavées de zelliges. « Ils sont si grands qu’en chacun il y a une partie destinée aux fleurs qui y font des écussons et des dessins, et une partie aux arbres fruitiers, citronniers, orangers et autres,… » Les jardins s’appelaient jardins du désir, de la joie, et d’autres noms tout aussi évocateurs. Les angles de la cour sont occupés par des petits bassins rectangulaires de 30 m sur 10 m. | Autour de l’immense cour du palais El Badiâ s’organisent les ruines imposantes d’anciens pavillons. De part et d’autre du grand bassin central, au milieu des deux petits côtés de la cour, s’élevaient en saillie deux petits pavillons portés par des colonnes se faisant face : l’un, connu sous le nom de Pavillon de cristal, dont il ne subsiste que les ruines, a fait l’objet de fouilles qui ont mis au jour son plan tandis que le gros œuvre du second, appelé Pavillon des audiences, subsiste sous forme de hautes murailles. Tous deux, de plan presque identique, presque carré, étaient couverts d’une coupole supportée par douze colonnes massives. Le sol des deux pavillons était couvert de zelliges dont on peut observer quelques spécimens dans le Pavillon des audiences. De petits bassins d’eau vive et des canaux d’adduction d’eau permettaient de rafraîchir l’intérieur de l’édifice. À l’extérieur, entourés de colonnes, ils s’ouvraient par de grandes portes sur la cour d’honneur. Deux autres pavillons, rectangulaires et beaucoup plus grands, et couverts de tuiles vertes, occupent le milieu des grands côtés, côté nord et côté sud. À la différence des deux premiers pavillons, la disposition du Pavillon vert et du Pavillon de l’héliotrope, légèrement en retrait, permettait l’aménagement de deux galeries ouvertes le long des murs soutenues par deux séries de colonnes de jaspe et couvertes de charpentes traditionnelles. Une fois le palais achevé, il comportait plus de 360 pièces. Un nombre important de portes et d’escaliers desservaient le palais. Il semble que la porte principale, sur la face sud, soit probablement la porte de marbre décrite par El Ifrani comme un merveilleux joyau artistique. Tous les services se trouvaient au sous-sol, dissimulés à la vue des hôtes. L’agencement de ce palais révélait une stupéfiante modernité, rien ne manquait. « Le plus étonnant est encore ce que contenaient certaines chambres du palais. surtout celle du gynécée… Une armoire mobile de nourriture autodirigeable de manière mécanique, grâce à des boutons précis, de la cuisine à la résidence des princesses et des dames du palais, ressemblant à l’élévateur connu aujourd’hui dans les grands hôtels. » Il existait même, parait-il, un système proche du « chauffage central » qui utilisait une tuyauterie de cuivre où circulait de l’eau froide ou chaude. La mosquée et le hammam auraient été magnifiques. Du palais El Badi, El Ifrani raconte « qu’on y trouvait des marbres de toutes les couleurs veinés, noirs et blancs, dont l’éclat éblouit la vue et jette la stupéfaction dans l’esprit du spectateur : les chapiteaux des colonnes étaient recouverts d’or fondu ou de feuilles d’or fin, le sol était pavé de superbes dalles de marbre poli et finement taillé… Enfin, les plafonds étaient incrustés d’or et les murailles, décorées de ce même métal, étaient en outre ornées de brillantes sculptures et d’inscriptions élégantes faites du plus beau stuc ». La première caractéristique de ce palais était la multitude de ses coupoles. La coupole El-Khamsinia (la Cinquantième, car ses frais de réalisation ont atteint cinquante quintaux), la Coupole d’Or, la Verte, la Rouge, la Blanche, la Coupole de Verre, de la Victoire, des Couronnes et la Grande Coupole de la salle d’audience des délégations étrangères. Au nombre de vingt, elles rivalisaient de grandeur et de magnificence. Sur chacune d’elles étaient gravées des inscriptions en vers sculptées dans le bois, dessinées sur des faïences ou moulées en stuc. Chaque inscription était en rapport avec la nature de la coupole qui la contenait et quelquefois, même, elle renfermait une sorte de défi à l’adresse de la coupole voisine. El Fichtali, l’éloquent secrétaire d’El Mansour, fait parler la qoubba « Khamsinia » en ces termes : « La beauté de mes merveilles charme les yeux ; La splendeur de mon esprit ravit le regard : Mes sculptures sont si belles que leur éclat éblouit les yeux de tous les spectateurs. Au sommet de mon plafond apparaissent des étoiles brillantes, dont la clarté à aucun instant ne s’obscurcit. Mon atmosphère est formée des vapeurs du parfum qui projette sur le sol l’ombre et l’obscurité. Je surpasse en hauteur les sphères des sept cieux et c’est pour cela que la Fortune ne goûte plus un moment de repos… » El Badiâ émerveilla son temps et fut considéré comme un paradis terrestre, une merveille du monde, le comble de l’art. C’est de lui que le poète a dit : « Son aspect est féerique, son onde est pure, sa terre parfumée et ses édifices se dressent fièrement dans les airs. Marrakech lui doit son immense célébrité et, grâce à lui, sa gloire durera des siècles ». Les jardins s’étendaient sur toute la face est de la kasbah. Un grand jardin public, commun, dit Le Gendre, était pourvu d’un bassin qui a disparu et dont Marmol parle comme d’une piscine, « un bain », de cent pieds de longueur et de vingt-cinq de large, pavé de petits carreaux où le Roy va se baigner l’été. Il comprenait aussi une fosse à lions enfermez comme dans une grande masure tout à découvert et on y montait par un degré. Le jardin du Qsar, des appartements particuliers d’El Mansour, communiquait par une porte monumentale et un double escalier (dont une partie a été retrouvée) avec le Badiâ. Autour de la kasbah, le sultan avait reconstitué le grand jardin almohade El Buhayra et lui donna le nom de Massara, qui s’étendait, selon Matham. sur une lieue et demie. Thomas Le Gendre en donne une excellente description : « De ces montagnes (l’Atlas) descendent plusieurs petites rivières de belle et bonne eau, qui viennent premièrement arroser un jardin qu’on appelle le petit Messarra et y font un grand étang parfaitement beau qui a bien mille pas en carré. Cette eau passe après dans un grandissime jardin, qu’on appelle El Messara, lequel est plein de rangées d’orangers, de citronniers, palmiers ou dattiers, oliviers. amandiers, figuiers et grenadiers, entremélez d’arbrisseaux de jasmin et autres fleurs odoriférantes ». | 1 : Pavillon vert. 2 : Groupe d’habitations. 3 : Parterres plantés. 4 : Grand bassin. 5 : Bassins d’angle. 6 : Pavillon des cinquante coudées (ou Pavillon des audiences). 7 : Pavillon de cristal. 8 : Pavillon de l’héliotrope. 9 : Demeure d’été. 10 : Jardin de cristal. | On dispose de peu d’éléments permettant d’apprécier le décor du palais El Badiâ, dont le nom à lui seul laisse imaginer un édifice somptueux. Les sources mentionnent de l’onyx de toutes les couleurs, du marbre, des chapiteaux recouverts d’or, des murs ornés de céramique polychrome, des plafonds de bois incrusté d’or, de plâtres sculptés et peints et partout des fontaines et bassins. C’est à travers le décor des tombeaux saadiens et de la médersa Ben Youssef qu’il faut imaginer celui du palais. C’est l’historien El Ifranî qui nous éclaire sur les autres sources d’inspiration ainsi que sur les lieux de provenance des matériaux du palais. Il rapporte qu’el Mansour fit venir des ouvriers et des artisans de tous les pays, même d’Europe, et que le marbre fut importé de Pise en Italie. Les matériaux les plus riches furent utilisés pour décorer les 360 pièces du palais : marbres d’Italie, onyx de toutes les couleurs, mosaïques et cristaux, ivoires et stucs, revêtements de feuille d’or décoraient murs et plafonds. Il ne reste pas grande chose du décor du palais el Badiâ, sauf quelques fragments de colonnes, de stuc et de carreaux de faïence. |
| Le pavillon vert | C’est l’un des principaux bâtiments du palais, situé au milieu de la façade nord ; il est érigé sur deux niveaux. Le rez-de-chaussée est constitué d’une grande salle rectangulaire avec alcôve, autrefois pavée de zellige et dotée de vasques d’eau. Le niveau supérieur se composait de deux chambres orientées nord-sud et revêtues de zellige et de plâtre sculpté. | 1 : Entrée. 2 : Alcôve. 3 : Restes de bases de colonne. |
| | | Le pavillon de Cristal | C’est grâce aux fouilles archéologiques que l’on a pu mettre au jour l’essentiel des structures de ce pavillon. Le plan des structures dégagées présente une grande similitude avec celui du pavillon des audiences. Le Pavillon de cristal, ou Pavillon d’or, est entouré par un portique ponctué de vasques d’eau alimentées par un judicieux système de canalisations à quatre portails qui étaient ouverts sur les côtés du monument. Le centre est occupé par un salon qui donne sur une alcôve, elle-même donnant sur un jardin par l’intermédiaire d’un escalier. Contrairement au Pavillon des audiences celui-ci était destiné à l’usage personnel du sultan. | 1 : Portail. 2 : Vasque. 3 : Pilier. 4 : Portail. 5 : Salon central. 6 : Escaliers. 7 : Bassin de récupération des eaux. |
| Le groupe d’habitations | Le groupe d’habitations, situé au nord-est de la koubba alkhamsiniyya (Pavillon des audiences) aurait été réservé au séjour des ambassades étrangères. | 1 : Passage commun. 2 : Patio. 3 : Chambres. 4 : Vasques. 5 : Pilier. 6 : Patio. |
| La demeure estivale | Cette maisonnette est supposée avoir été une retraite du sultan lors des instants de détente estivale. Elle reste, dans sa simplicité, fidèle au plan des maisons traditionnelles de l’occident islamique, et tranche avec le faste du reste du palais. | 1 : Patio. 2 : Bassin. 3 : Pièce centrale. 4 : Deux pièces latérales. |
| Le Minbar | À l’écart du palais, on peut voir le minbar (chaire à prêcher) original de la Koutoubia, la mosquée-cathédrale : cèdre, ivoire, argent, ébènes et autres matériaux rares composent ce chef-d’œuvre de l’art arabo-andalou qui demanda huit ans de travail acharné aux maîtres ébénistes de Cordoue les plus doués. |
| Les sous-sols | Le palais El Badiâ possédait aussi une petite partie souterraine servant de cuisine, hammams mais aussi prison et appartements privés, et dont on peut voir les vestiges. |
| Les murailles | El Mansour demanda un jour à son bouffon : - Que penses-tu de ce palais ? Le bouffon répondit : - Quand il sera démoli, cela fera un très beau tas de ruines ! De la magnificence du palais El Badiâ il ne reste en effet aujourd’hui qu’une immense esplanade creusée de bassins entourée de hautes murailles délabrées. Ses seuls habitants sont désormais les couples de cigognes qui y ont installé leurs nids. | |
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| | Histoire | Les souverains marocains avaient l’habitude de célébrer leurs victoires en construisant des édifices grandioses. Ainsi avait fait notamment le calife Yacoub El Mansour l’Almohade (1192-1198) en construisant les trois grandes mosquées : la Giralda à Séville, la Koutoubia à Marrakech et Hassan à Rabat, à la suite de sa victoire sur les Castillans (Espagne) à la bataille d’Alarcos (1194). Ainsi le palais El Badiâ fut édifié à la fin du XVIe siècle par le sultan saâdien Ahmed el Mansour Dhahbî pour célébrer la victoire des troupes saâdiennes sur l’armée portugaise en 1578 dans la bataille de Oued al-Makhazine, connue dans le monde occidental sous le nom de « Bataille des Trois Rois ». Ahmed el Mansour avait accédé au pouvoir à la suite de la mort de son frère et sultan lors de cette bataille. Ahmed el Mansour voulut montrer au monde l’éclat de la dynastie régnante et laisser à la postérité un témoignage de sa grandeur qui éclipserait l’œuvre des autres dynasties. Selon l’historien El Ifranî, la construction de ce fastueux palais, qui donna lieu à un immense chantier, fut entreprise cinq mois après l’avènement du sultan en l’an 986 de l’Hégire (décembre 1578) ; les travaux se poursuivirent sans interruption durant plus de seize années, pour s’achever en 1593-1594. Certains travaux complémentaires ont continué jusqu’en 1603, couvrant ainsi l’ensemble du règne du souverain. Les travaux ne s’arrêtaient ni de jour ni de nuit, malgré une multitude d’artisans venus d’Europe ou se trouvant au Maroc et en dépit de l’abondance des matériaux importés d’Occident et d’Orient : de Tombouctou et d’Europe, d’Inde et du Brésil. Les récits concordent pour dire que le Palais El Badiâ était un Paradis sur la terre de Marrakech. El Badi, l’incomparable, le merveilleux, fut construit avec des matériaux rares et précieux rapportés du monde entier. Certaines matières premières provenaient des Indes, le marbre importé d’Italie était troqué « poids pour poids » contre du sucre, et le granit d’Irlande choisi par un envoyé de la reine Elizabeth Ière d’Angleterre. Une main d’œuvre considérable fut engagée et les artisans et ouvriers étrangers, pour la plupart des Européens, furent très bien accueillis par le sultan qui se montra fort généreux à leur égard. Les chroniqueurs de l’époque racontent en effet « qu’El Mansour se montra très libéral et très bienveillant dans cette circonstance. Il paya largement les ouvriers et prodigua aux maçons habiles toutes sortes de largesses et de gratifications. Il s’occupa même de l’entretien de leurs enfants, afin que ces artisans puissent se consacrer entièrement leur œuvre et n’en fussent distraits par aucune préoccupation ». Mais, un siècle plus tard, au XVIIe siècle, le sultan alaouite Moulay Rachid, prit d’assaut Marrakech et fit détruire le palais El Badiâ ; son successeur, Moulay Ismaïl (1672-1727), dans sa volonté de faire table rase de l’héritage saâdien, entreprit de raser ce qui en restait. Commencée vers 1696, la démolition dura une dizaine d’années.Une grande partie des matériaux du palais aurait été acheminée à Meknès pour être réemployée dans la construction des palais de la ville royale de Moulay Ismaïl. Aujourd’hui, il ne reste qu’une immense esplanade creusée de jardins, plantée d’orangers et entourée de hauts murs. En 1953, une campagne de fouilles permit de mettre au jour un grand nombre de structures qui permettent d’entrevoir le plan d’ensemble. La fouille a également livré un matériel archéologique riche constitué principalement de fragments de marbre blanc et noir, de stuc, de chapiteaux, de faïence, de restes de fontaines et de bassins. |
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| | Informations utiles | Chaque année au mois de juin, le Festival National de Folklore se tient dans les ruines somptueuses de l’incomparable palais. Adresse : Palais Al Badia, Place des Ferblantiers, Kasbah, 40000 Marrakech |
| Conditions de visite | Ouvert tous les jours de 8 h 45 à 12 h 45 (plus d’entrée après 12 h) et de 14 h 30 à 18 h 30 (plus d’entrée après 17 h 45). Tous les jours. Entrée payante : 10 dirhams pour le palais seul et 20 dirhams avec le minbar. |
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