| Le lac de Bafa et le mont Latmos en Anatolie | |
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| Présentation générale | Le lac de Bafa est l’un des lacs les plus pittoresques de l’Anatolie ; il s’agit d’un lac salé qui est le dernier vestige d’un ancien golfe de la mer Égée, le golfe du Latmos. Ce golfe, également nommé golfe de Milet, a disparu à la suite de son comblement par les limons et les sables charriés par le fleuve Méandre, aujourd’hui nommé Büyük Menderes. Depuis l’Antiquité tardive, vers le IVe siècle après JC, cette baie du golfe du Latmos est enclavée entre deux chaînes de montagnes et la plaine alluviale qu’a formée le Méandre ; elle est devenue le lac de Bafa. Aujourd’hui le lac de Bafa ne possède plus d’effluent et est destiné à être comblé par les sédiments apportés par les cours d’eau descendant des montagnes. Le pourtour et les îles du lac de Bafa abritent de nombreux vestiges de l’antiquité et de l’époque byzantine, notamment le site archéologique d’Héraclée dans le village de Kapıkırı. |
| Étymologie et toponymie | Le lac de Bafa (Bafa Gölü), ou mer de Bafa (Bafa Deniz), doit son nom au village de Bafa, situé à l’est du lac, sur la route de Milas à Söke ; le lac est parfois aussi nommé lac de Çamiçi (Çamiçi Gölü), d’après l’ancien nom du village de Bafa, Çamiçi (« parmi les pins »). La partie ouest du lac est nommée Serçin Gölü, du nom du village de Serçin, situé au nord-ouest du lac. Le toponyme a connu différentes variantes orthographiques : Bafi, Vafi … Le lac est parfois nommé lac d’Héraclée. Le lac de Bafa est un vestige de l’antique golfe de Latmos, ou golfe latmique (Λατμικός κόλπος), du nom de la chaîne des monts Latmos. Le géographe grec du Ier siècle avant JC, Strabon, précise que le massif du Latmos serait le massif qu’Homère nomme « la montagne ombragée de Phthire » (Phthiron, Φθιρών) dans l’Iliade. Sous la République romaine et l’Empire romain, le mont Latmos (Λάτμος) était nommé Latmus. Pendant la présence vénitienne à Milet, après 1355, le mont porta le nom de Monte di Palatschio (« mont de Palacia », Palacia étant le nom de Milet au Moyen Âge). Le Latmos est actuellement nommé Beşparmak Daği (« Montagne aux Cinq Doigts »), par allusion à sa silhouette palmée. L’antique fleuve Méandre (Μαίανδρος, Maïandros), aujourd’hui nommé en turc Büyük Menderes Nehri (« Rivière du Grand Méandre ») a séparé le lac de Bafa de la mer par le dépôt d’alluvions. |
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| Le lac de Bafa se trouve dans le bassin du fleuve Méandre, dans le sud-ouest de l’Anatolie ; la rive ouest du lac est actuellement à environ 16 km de la côte, qui ne cesse de progresser vers l’ouest. Le lac est bordé à l’ouest par la plaine alluviale formée par les sédiments apportés par le Méandre ; cette plaine se nomme aujourd’hui plaine de Balat (Balat Ovası), du nom du village de Balat qui s’est maintenu à proximité des ruines de la cité antique de Milet. Cette vaste plaine marécageuse et fertile constitue le delta du Méandre où se perdent les différents bras du fleuve ; les roselières et les champs de coton s’y côtoient. Au nord et à l’est, le lac de Bafa est dominé par la chaîne de montagnes du Latmos ; au sud, par le mont Grion (Ilbıra dağı). Du point de vue administratif le lac de Bafa est partagé entre le comté de Söke dans la province d’Aydın (Ionie), au nord-ouest, et le comté de Milas, dans la province de Muğla (Carie), au sud-est. La route qui relie Söke à Milas longe la rive sud du lac ; Söke se trouve à 53 km au nord du lac par la route D-525 ; la route continue jusqu’à Milas, à 28 km ; la capitale provinciale, la ville de Muğla, est à environ 108 km. Depuis la station balnéaire de Bodrum, il y a une distance de 91 km jusqu’au village de Bafa. Il existe une liaison par autocar entre Milas et Söke, qui fait un arrêt dans le village de Bafa, environ toutes les 30 min, aux heures de travail. |
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| | Les peintures rupestres du mont Latmos | Des peintures rupestres ont été découvertes dans une grotte du mont Latmos, la grotte de Karahayıt Balıktaş, sur le côté oriental de la montagne ; ces peintures datent d’une période s’étalant de 8 000 à 10 000 ans. Ces quelque 160 peintures de couleur ocre et rouge – dont certaines mesurent 80 cm – représentent des figures humaines et des animaux. L’accès à ces grottes est libre mais il est indispensable de se faire accompagner par un guide pour y accéder ; l’accès se fait à partir du village de Karahayıt. |
| L’inscription lapidaire de Suratkaya | En l’an 2000, une inscription lapidaire en langue hittite a été découverte dans l’est du massif du Latmos, sur les pentes de la montagne de Suratkaya (« le rocher du visage »). Les archéologues y voient la confirmation que la cité de Milet aurait été fondée par les Hittites vers 3000 avant JC ; les Hittites nommaient la cité Millawanda. Là aussi il faut faire appel à un guide local pour atteindre le site de cette inscription. |
| Les monastères du Latmos | La cité d’Héraclée avait commencé à péricliter à la fin de la République romaine, à cause de la fermeture de la baie du Latmos par l’ensablement du golfe de Milet ; son déclin s’était poursuivi pendant l’Empire romain, et, au VIe siècle, la cité était devenue inexistante. Un événement allait redonner vie à la région : l’irruption de l’islam et la conquête arabe de l’Égypte et en particulier du Sinaï, au VIIe siècle ; de nombreux moines coptes du Sinaï s’enfuirent devant l’invasion arabe et cherchèrent refuge dans des régions non-occupées de l’Empire byzantin. Environ 300 moines vinrent s’installer dans les monts du Latmos, autour du lac de Bafa et dans presque toutes les îles du lac, où ils trouvèrent – dans le silence de cette nature sauvage et solitaire – une retraite spirituelle idéale. Ces moines fondèrent de nombreux monastères et ermitages byzantins : le Latmos qui comptait une douzaine de monastères devint l’un des plus grands centres monastiques d’Anatolie. Certains de ces moines avaient une grande réputation et attiraient dans la région de nombreux pèlerins. Héraclée devint le siège d’un important évêché. La légende raconte que les moines auraient découvert la tombe du berger Endymion dans l’une des grottes de la montagne et en auraient fait un sanctuaire chrétien, donnant au mythe d’Endymion une interprétation chrétienne. La vie monastique dans le Latmos dura près de cinq siècles jusqu’à ce que les moines fussent à nouveau chassés par des musulmans, cette fois-ci les Turcs seldjoukides puis ottomans, entre le XIIe siècle et la fin du XIVe siècle. La visite de ces monastères byzantins très ruinés exige l’accompagnement d’un guide local qui sait trouver son chemin dans le chaos du maquis et des rochers du Latmos. |
| Le monastère Saint-Paul de Latros | L’un des moines les plus célèbres du Latmos fut, au Xe siècle, un moine de la tradition stylite (du grec στύλος, stylos, colonne). Cette tradition avait été instaurée par un ermite syrien du Ve siècle, saint Siméon le Stylite, qui, pour s’isoler du monde, s’était installé au sommet d’une colonne d’où il prêchait à la foule des pèlerins qui lui apportaient des victuailles. Un moine du Latmos, né près de Pergame vers 880, et connu sous le nom de saint Paul de Latros, ou saint Paul le Jeune, s’installa sur un piton rocheux ; il attira de nombreux disciples au point qu’il dut s’exiler dans l’île de Samos pour vivre dans une grotte et retrouver un peu de solitude, mais il fut à nouveau entouré par un encore plus grand nombre de disciples. Finalement il revint au Latmos où il mourut, le 15 décembre 955, à l’âge de 75 ans. Ce moine inculte avait un tel prestige que l’empereur byzantin Constantin Porphyrogénète demandait ses avis ou que le pape lui écrivait. Après la mort de Paul le Jeune, un monastère fut édifié, entre 920 et 930, autour du piton rocheux où il se tenait et de la grotte où il habitait : le monastère Saint-Paul de Latros (Λάτρος, le nom du mont Latmos au Moyen Âge) ou monastère du Stylos (Μονή τού Στύλου), décoré de fresques byzantines. Du monastère de Stylos est venu le moine Christodoulos (Χριστόδουλος) qui fonda, en 1079, sur l’île grecque de Patmos, le célèbre monastère Saint-Jean. Les ruines du monastère de Stylos (Arap Avlusu Manastırı) se trouvent à environ 11 km du village de Kapıkırı, à 640 m d’altitude ; l’accès se fait – par une voie antique carienne – en 5 heures de marche assez difficile ; l’accompagnement d’un guide local est indispensable. |
| La grotte du Pantocrator | La grotte du Christ Pantocrator se trouve à proximité du monastère Saint-Paul de Latros. Les moines du Latmos ont couvert la voûte de cette grotte d’une fresque figurant le Christ en gloire, ou Christ Pantocrator (παντοκράτωρ, « tout puissant »). Cette fresque impressionnante, difficile à dater entre le VIIe siècle et le IXe siècle, est en très mauvais état, en partie par suite d’actes de vandalisme. |
| Le monastère des Sept Frères (Yediler Manastırı) | L’ensemble monastique fortifié des Sept Frères (Yediler) fut construit au VIIe siècle et compta jusqu’à quatre églises. Des grottes étaient disséminées autour du monastère, où vivaient les ermites ; beaucoup de ces grottes étaient ornées de fresques ; l’une de ces grottes montre une série de fresques illustrant la vie du Christ, de sa naissance à sa résurrection. Le monastère était défendu par une muraille crénelée et par une tour, dont on peut voir les ruines. Les ruines du monastère de Yediler, situées à 240 m d’altitude, sont accessibles depuis Gölyaka ou depuis Karahayıt, qui est l’accès le plus facile, réalisable en deux heures de marche pas trop difficile, par une piste bien balisée de 6 km de longueur ; il est possible de se passer d’un guide local. |
| Le lac de Bafa | Le lac de Bafa (Bafa Gölü) est un lac constitué d’environ 5 % d’eau de mer ; le lac a une longueur d’environ 16 km, d’ouest en est, et une largeur d’environ 6 km, du nord au sud ; sa superficie est d’environ 6 700 ha (67 km²) ; c’est le plus grand lac de la côte égéenne de l’Anatolie. À cause du rehaussement du lit du fleuve Méandre, la surface du lac se trouve à quelques mètres au-dessus du niveau de la mer ; en fonction de la sécheresse, cette altitude peut varier d’une année à l’autre, de 2 m à 5 m ; la profondeur maximale du lac est de 25 m, et peut également varier selon la sécheresse. Cette variation de la hauteur des eaux se manifeste par un estran sur les rives du lac. Le lac recouvre maintenant certaines ruines qui, dans l’Antiquité, se trouvaient au bord le l’eau. Ce lac était à l’origine une rade, une baie étroite, d’un golfe de la mer Égée, le golfe de Milet ; par suite de l’ensablement du golfe de Milet, par les dépôts d’alluvions du fleuve Méandre, cette rade a été coupée de la mer Égée. Autour de cette baie du Latmos, deux cités antiques s’élevaient : sur la côte septentrionale, la cité de Pyrrha (Πύρρα), ou Pirra, et, sur la côte orientale, à environ 1 800 m à l’est, la cité d’Héraclée (Ήράκλεια). Le lac de Bafa comporte quatre îles principales : Kahve Asar Adası, près de la rive sud du lac, où se trouve les ruines d’un monastère ; Menet Adası ou Menet Adasıdır (« l’île aux oiseaux »), près de la rive nord du lac ; Hayalet Adası, un peu plus à l’est ; Kargı Asarı Adası, en face des ruines d’Héraclée et du village de Kapıkırı. Sur la rive nord se trouve également une presqu’île, İkizce Adalar ou İkiz Ada, qui devient une île lorsque les eaux du lac sont hautes. Au bout de la presqu’île d’İkiz se trouve un monastère dédié à la Vierge Marie. |
| Les monastères des îles | La plupart des îles du lac de Bafa abritaient un monastère byzantin et, certaines, également un château byzantin ; tous ces édifices sont très endommagés. La première île que l’on aperçoit se trouve près de la rive sud du lac, un peu avant d’arriver au village de Bafa, anciennement Çamiçi : c’est l’île de Kahve Asar, où se trouve un monastère assez bien conservé. À côté de l’église principale du monastère le catholicon (καθολικόν), à l’extérieur des murs du monastère, se dresse une chapelle de deux étages abritant des tombes de moines de type arcosolium, c’est-à-dire des tombes placées dans des niches semi-circulaires surmontées d’un arc. On peut admirer l’appareil des murs de l’église et de la chapelle, faits de briques et de pierres de marbre jointoyées avec du mortier. On peut se rendre en barque sur l’île de Kahve Asar depuis le restaurant Çeri Restoran, situé à l’endroit où la route de Söke à Milas s’éloigne de la rive du lac ; l’île est à 200 m de la rive. Une autre île qui abrite un monastère est l’île de Kargı Asarı, située sur la rive orientale du lac, en face du village de Kapıkırı où se trouve les ruines de la cité antique d’Héraclée. Kargı Asarı Adası comprend aussi les ruines d’un château byzantin, dit « Château de l’Ouest ». Il est possible d’y aller à pied par une jetée en pierre, lorsque le niveau des eaux du lac est assez bas. |
| Le parc naturel du lac de Bafa | Le lac de Bafa était à l’origine une baie d’un golfe de la Mer Égée qui a été fermée par l’accumulation d’alluvions du fleuve Méandre dans le golfe de Milet, créant un lac d’eau faiblement saumâtre. Ce milieu original abrite donc aussi bien des espèces végétales et animales adaptées à l’eau douce, que des espèces adaptées à l’eau de mer. De plus, les zones marécageuses, situées surtout sur la rive ouest donnant sur la plaine de Balat, sont particulièrement propices à la reproduction animale, notamment celle des poissons et des oiseaux. Le lac abrite de nombreuses espèces de poissons ; les principales espèces rencontrées dans le lac de Bafa sont : le bar européen (Dicentrarchus labrax), parfois nommé loup ou perche de mer (levrek en turc), des mulets gris, de la famille des Mugilidae (kefal), une sorte de poisson-chat (yayın) et des anguilles (yılan balığı). Le lac de Bafa est un havre pour plus de 300 000 oiseaux migrateurs, appartenant à plus 200 espèces, qui y font halte et pour plus de 50 espèces d’oiseaux qui y nidifient, notamment : le pygargue à queue blanche (Haliaeetus albicilla), la cigogne blanche (Ciconia ciconia), le faucon pèlerin (Falco peregrinus), le cormoran pygmée (Microcarbo pygmeus), le blongios nain (Ixobrychus minutus), le bihoreau gris (Nycticorax nycticorax), le crabier chevelu (Ardeola ralloides), le héron pourpré (Ardea purpurea), la foulque macroule (Fulica atra), le circaète Jean-le-Blanc (Circaetus gallicus), le tadorne casarca (Tadorna ferruginea), le busard des roseaux (Circus aeruginosus), la buse féroce (Buteo rufinus), l’échasse blanche (Himantopus himantopus), le martin-chasseur de Smyrne ou martin-chasseur à gorge blanche (Halcyon smyrnensis), le martin-pêcheur pie ou alcyon pie (Ceryle rudis), et le faucon crécerellette (Falco naumanni). Le lac de Bafa abrite des espèces en danger d’extinction, par exemple le pélican frisé (Pelecanus crispus) dont il reste moins de deux mille individus dans le monde ; le lac constitue la troisième population mondiale de cette espèce par son importance. La région du lac de Bafa présente aussi une grande richesse botanique, avec plus de 500 espèces de plantes. La végétation des monts du Latmos, de type maquis méditerranéen, est surtout constituée de pins et de vergers d’oliviers. Les monts Latmos sont remarquables pour la diversité des espèces d’orchidées, dont on estime le nombre à plus de 20 espèces, entre autres : l’orchis pyramidal (Anacamptis pyramidalis), l’ophrys brun (Ophrys fusca), l’ophrys à couleur irisée (Ophrys iricolor), l’ophrys jaune (Ophrys lutea), l’ophrys de Lesbos (Ophrys lesbis), l’ophrys miroir (Ophrys speculum), l’ophrys ombiliquée (Ophrys umbilicata), l’orchis d’Anatolie (Orchis anatolica), l’orchis à odeur de punaise (Orchis coriophora), l’orchis d’Italie (Orchis italica), l’orchis bouffon (Anacamptis morio ou Orchis morio) et l’orchis papillon (Anacamptis papilionacea ou Orchis papilionacea). Dans les années 1980, la richesse écologique du lac de Bafa a été mise en danger par la contamination des cours d’eau se déversant dans le lac, et par la surexploitation de la ressource en poissons par une coopérative de pêche. Pour sauvegarder l’écologie du lac un parc naturel a été créé en 1994. Le Parc Naturel de Bafa (Bafa Gölü Tabiat Parkı) couvre plus de 12 000 ha et englobe une grande partie des monts Latmos. Le lac de Bafa a été déclaré Zone Importante pour la Conservation des Oiseaux (ZICO). Le lac de Bafa reste une destination favorite pour les amoureux de la nature. |
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