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L’évolutionnisme

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L’idée d’évolution des êtres vivants est récente dans l’histoire
L’Homme a actuellement pris conscience du fait que le monde n’est pas immuable : la notion d’Évolution est devenue une évidence. Cette idée n’a cependant été émise qu’il y a un peu plus de cent ans par Charles Darwin ; le modèle a largement été amélioré depuis.

Les croyances des peuples primitifs et la plupart des dogmes religieux reposent sur la conception d’un monde statique, inchangé depuis sa création, celle-ci étant considérée comme récente.

À la charnière du XVIIIe et du XIXe siècle, les idées en cette matière deviennent moins catégoriques : les théories fixistes se butent aux premières ébauches de théories scientifiques transformistes.

Cuvier (1769-1832), fondateur de la paléontologie, imaginait que la création ne s’est pas faite en une seule fois, mais que plusieurs créations, séparées par des catastrophes planétaires, se sont succédées : cette théorie dite du catastrophisme permettait de justifier l’existence des fossiles, témoins d’espèces vivantes disparues.

Le botaniste suédois Carl von Linné (1707-1778) est obligé d’admettre que, chez les végétaux, au moins, une certaine variabilité des espèces doit être imaginée.

Diderot (1713-1784) accueille l’idée d’évolutionnisme dans l’Encyclopédie.

En 1793, la Convention inscrit au programme d’enseignement « l’histoire naturelle » ; le terme « histoire » implique la notion d’évolution.

Le comte de Buffon (1707-1788), naturaliste français, défend l’idée que les êtres vivants ont subi des modifications considérables.

Il faut cependant attendre le début du XIXe siècle pour voir le français Jean-Baptiste de Monnet, chevalier de Lamarck (1744-1829), proposer une première théorie cohérente de l’Évolution.

En 1859, Charles Darwin (1809-1882) publie son fameux

De l’origine des espèces par la voie de la sélection naturelle
ou
La Persistance du plus apte dans la Lutte pour la Vie.

Cet ouvrage sera le point de départ de toutes les théories modernes.

Comme toutes les grandes œuvres révolutionnaires, celle-ci eut de la peine à se faire accepter, aussi bien dans la communauté scientifique qu’en dehors. C’est probablement que les thèses qui y sont soutenues ont choqué la pensée du XIXe siècle encore fort attaché à une place et à un rôle privilégié pour l’Homme dans l’univers : après Darwin, l’Homme ne semble plus être qu’un animal comme les autres.

Il existe encore à l’heure actuelle des gens parmi les fondamentalistes religieux qui refusent l’idée de l’Évolution ; ils constituent un groupe de pression efficace aux États-Unis où l’ex-président Reagan s’est assuré leur soutien en admettant des thèses anti-évolutionnistes au cours de ses campagnes électorales.

Les théories modernes de l’Évolution disposent cependant d’une confortable assise d’arguments scientifiques, notamment les acquis de la génétique. On n’a pourtant pas LA preuve définitive de l’Évolution ; il existe même certaines objections.

Le lamarckisme ou la nécessité sans le hasard
Lamarck considère que l’évolution est due à l’influence du milieu sur les êtres vivants. L’Évolution est nécessaire pour répondre aux contraintes imposées par le milieu.

Les conceptions de Lamarck pourraient schématiquement se résumer en trois points :

Complexification des êtres vivants.

Dès l’instant où ils sont créés, tous les êtres vivants ont tendance à se perfectionner pour devenir aussi complexes que l’Homme, sommet de l’échelle des êtres vivants. Ceci implique que des êtres très simples doivent constamment être créés pour occuper le bas de l’échelle des vivants : c’est la génération spontanée.

Modelage par l’environnement.

On pourrait expliquer la raison pour laquelle la girafe a un long cou en caricaturant la théorie de Lamarck. Un animal de taille « normale » se nourrit de l’herbe qu’il broute à ses pieds. Survient un bouleversement climatique qui fait que l’herbe se raréfie ; les animaux s’étireront le cou pour brouter les feuilles basses des arbres.

Transmission des caractères acquis.

Toutes les modifications dont les êtres vivants sont le siège au cours de leur vie sont transmises à leur descendance qui les perpétuent de génération en génération. La petite transformation qu’est le minime allongement du cou de la girafe se transmet et s’amplifie même si les conditions climatiques restent défavorables.

Le darwinisme ou le hasard sans la nécessité
Les observations essentielles qui permettent à Darwin d’établir sa théorie de l’Évolution ont été réalisées au cours d’un voyage de cinq années autour du monde que le naturaliste anglais effectue à partir de 1831. Il visite l’Amérique du Sud et plus particulièrement les îles Galápagos.

Cependant, sa théorie est le fruit d’une longue maturation : « De l’origine des espèces » qui reprend l’ensemble des observations et hypothèses qui en découlent ne paraîtra pas avant 1859.

L’idée de l’Évolution est un des fruits de son voyage.

Variations graduelles.

Darwin observe que la répartition géographique d’animaux ou de végétaux d’une même espèce montre des variations graduelles plutôt que discontinues et franches. Ceci suggère que les variétés n’ont pas été créées séparément mais qu’elles ont évolué à partir d’un ancêtre commun.

Cependant, cela n’explique pas pourquoi les êtres vivants évoluent.

Les variétés d’élevage.

L’existence des variétés dans une espèce est un fait déjà bien connu à cette époque où les éleveurs pratiquaient différentes techniques empiriques leur permettant d’obtenir des animaux ou des végétaux ayant telle ou telle caractéristique.

Le fait que les êtres vivants évoluent est incontestable. Les variétés sauvages sont souvent très dissemblables des variétés domestiques d’une même espèce. Dans ce cas particulier, le moteur de l’évolution n’est autre que l’éleveur qui sélectionne les caractéristiques intéressantes. Ce fait est alors bien connu de Darwin qui fréquente ces éleveurs. Quel pourrait alors être le moteur de l’évolution dans la nature ?

Thomas Robert Malthus.

Darwin reconnaîtra avoir puisé l’inspiration dans la lecture d’un livre de Thomas Malthus, économiste du XIXe siècle. Dans un de ces ouvrages (« Essai sur le principe de la population »), Malthus explique que les tentatives de réformes sociales ne feront qu’exacerber les souffrances de ceux qu’elles sont sensées soulager. Il faut laisser les guerres et les famines agir sur les populations pour en faucher les excédents.

En effet, l’accroissement d’une population se fait dans une progression géométrique, beaucoup trop rapide pour l’augmentation des ressources, et plus particulièrement la nourriture, qui ne se produit que de manière arithmétique. Il s’ensuivra une lutte féroce pour la nourriture dans laquelle les plus faibles -arrivés à un état de dénuement extrême- disparaîtront inévitablement.

Avantage du plus apte.

Darwin applique le même raisonnement aux populations animales et végétales. Il existe de petites variations entre les êtres vivants de la même espèce. Si l’une des variétés possède un avantage (morphologique, par exemple) par rapport aux autres, elle sera favorisée dans la lutte pour la nourriture. Se reproduisant plus facilement que les autres, on comprend pourquoi ses caractéristiques se retrouvent préférentiellement dans les générations ultérieures.

Isolement d’une population.

L’apparition d’espèces nouvelles s’explique alors en faisant intervenir l’isolement de certaines populations par des bouleversements géologiques, par exemple. Si deux groupes d’êtres vivants de la même espèce se trouvent isolés de part et d’autre d’une chaîne de montagne apparue brusquement, les deux populations vont évoluer de manière différente en proposant des adaptations différentes aux exigences de la nature. Remises en présence après de nombreuses générations, les deux populations auront tellement évolué qu’il leur sera devenu impossible de se féconder l’une l’autre ; c’est ainsi qu’apparaissent des espèces distinctes.

Le hasard.

C’est la nature qui réalise une sélection entre les êtres vivants : elle élimine les êtres inadaptés et laisse vivre les autres. L’adaptation n’est cependant que le fruit du hasard ; il n’y a dans l’être vivant aucun projet qui soit à l’origine de l’évolution dans un sens déterminé.

C’est ici que se marque le mieux la divergence entre la théorie lamarckienne et la théorie darwinienne de l’évolution. Lamarck affirme que si les êtres vivants évoluent, c’est pour s’adapter aux nouvelles conditions du milieu, par nécessité. Selon Darwin, les modifications dont les êtres vivants sont le siège se font purement au hasard. Parmi les modifications que l’on observera, certaines sont intéressantes dans les conditions actuelles, d’autres sont défavorables. La nature choisit alors les mieux adaptés.

Implications philosophiques de la théorie de l’évolution
La théorie de l’Évolution devait avoir un retentissement philosophique aussi important que la théorie héliocentrique de Copernic pour plusieurs raisons.

Elle remet l’Homme a sa place dans la nature : il est un parent des singes. De nombreuses caricatures de Darwin publiées dans la presse de l’époque le représentent avec une tête humaine sur un corps de singe. Les esprits n’étaient pas encore tout à fait mûrs pour accepter toutes les implications de la théorie de Darwin.

La théorie de l’évolution subordonne l’existence des êtres vivants au hasard : il n’y a aucun projet dans la nature, seulement le hasard. La théorie de la sélection naturelle provoquera de nombreux remous dans ce XIXe siècle déterministe où triomphe la mécanique de Newton. À cette époque, le mathématicien Laplace affirme que, si l’on pouvait connaître la position et l’état de mouvement de tous les corps contenus dans l’univers à un moment donné, il serait possible de prévoir, par calcul, quelle serait la position et l’état de mouvement de ces mêmes corps à n’importe quel autre moment, passé ou présent ; l’univers est donc entièrement déterminé.

Les théories physiques actuelles ont renoncé à ce cadre déterministe : elles admettent qu’il existe un principe d’incertitude (le principe d’incertitude d’Heisenberg) ou d’indéterminisme qui ne permet pas de prévoir l’avenir d’une particule en mouvement avec la précision que l’on veut. Ce principe n’est pas lié à une insuffisance de la science mais constitue le pilier fondamental de certaines théories physiques parmi les plus performantes !

La conception de l’Évolution selon Darwin est matérialiste : pour expliquer la formation des espèces, il a recours à des explications mécaniques. Il en vient à éliminer la nécessité d’un Dieu, gérant de tous les êtres vivants. La société victorienne, très religieuse, ne pouvait accepter cette vision du monde.

Le courant d’idées matérialistes remporte un autre succès avec les théories économiques de Marx. Ce n’est pas par hasard si ce dernier a cautionné la théorie de l’évolution : l’évolution des espèces est un phénomène naturel, l’évolution de la société vers l’idéal marxiste procède du même type de mécanisme. La lutte des classes est indispensable pour faire évoluer la société.

Les théories de Darwin vont être reprises par d’autres économistes ou philosophes en vue de justifier leur vision de la société. Différents auteurs qui participèrent à l’élaboration du darwinisme social offrent un exemple de cette démarche.

Selon ces auteurs, Darwin prouve qu’il existe des raisons fondamentales, liées aux lois de la nature pour justifier la concurrence pour la vie dans la société humaine.

Caractéristique de ce mode de pensée, la traductrice de la première édition en langue française de « l’origine des espèces » écrit que l’application de la loi de la sélection naturelle à l’être humain démontre les erreurs de « cette charité imprudente et aveugle où notre ère chrétienne a toujours cherché l’idéal de la vertu sociale et que la démocratie voudrait transformer en une sorte de fraternité obligatoire, bien que sa conséquence la plus directe soit d’aggraver et de multiplier dans la race humaine les maux auxquels elle prétend porter remède. On arrive ainsi à sacrifier ce qui est fort à ce qui est faible, les bons aux mauvais, les êtres doués d’esprit et de corps aux êtres vicieux et malingres ».

Remarquons cependant que ces conceptions doivent être largement nuancées en fonction des acquis de la génétique. D’autre part, elles reposent sur une vue de l’être humain relativement limitée ne reconnaissant aucune originalité par rapport aux animaux ou aux végétaux.

Conclusion
Les principaux adversaires de la théorie de la sélection naturelle avanceront des objections liées aux variations invoquées et aux mécanismes par lesquels les caractéristiques morphologiques se transmettent de génération en génération. Darwin est incapable de fournir des réponses valables à ces questions à propos desquelles il effectuera des recherches qui n’aboutiront pas. Il faudra attendre les résultats de la génétique mendélienne pour avoir un début de réponse.
Extraits de différents documents de J.B. de Lamarck
« On sait que [la girafe], le plus grand des mammifères, habite l’intérieur de l’Afrique, et qu’il vit dans des lieux où la terre, presque toujours aride et sans herbage, l’oblige à brouter le feuillage des arbres, et de s’efforcer continuellement d’y atteindre. Il est résulté de cette habitude soutenue depuis longtemps, dans tous les individus de sa race, que ses jambes de devant sont devenues plus longues que celles de derrière, et que son col s’est tellement allongé que la girafe, sans se dresser sur ses jambes de derrière, élève sa tête et atteint à six mètre de hauteur. »

« Dans tout animal qui n’a point dépassé le terme de ses développements, l’emploi plus fréquent et soutenu d’un organe quelconque fortifie peu à peu cet organe (…) tandis que le défaut constant d’usage de tel organe l’affaiblit insensiblement (…) et finit par le faire disparaître. »

« Les organes utiles dans les conditions du moment se développent, cependant que les organes inutiles s’atrophient ; c’est le cas de la taupe qui est pratiquement aveugle car le sens de la vue est inutile dans ses galeries sous-terraines. »

« (…) II paraît, comme je l’ai déjà dit, que du temps et des circonstances favorables sont les deux principaux moyens que la nature emploie pour donner l’existence à toutes ses productions. On sait que le temps n’a point de limite pour elle, et qu’en conséquence elle l’a toujours à sa disposition.

Quant aux circonstances dont elle a eu besoin et dont elle se sert encore chaque jour pour varier ses productions, on peut dire qu’elles sont en quelque sorte inépuisables.

Les principales naissent de l’influence des climats, des variations de température de l’atmosphère et de tous les milieux environnants, de la diversité des lieux, de celle des habitudes, des mouvements, des actions, enfin de celle des moyens de vivre, de se conserver, de se multiplier, etc. Or par suite de ces influences diverses, les facultés s’étendent et se fortifient par l’usage, se diversifient par les nouvelles habitudes longtemps conservées ; et insensiblement la conformation, la consistance, en un mot la nature et l’état des parties ainsi que des organes participant de toutes ces influences, se conservent et se propagent par la génération. »

« (…) Je pourrais ici passer en revue toutes les classes, tous les ordres, tous les genres et les espèces des animaux qui existent, et faire valoir que la conformation des individus et de leurs parties, que leurs organes, leurs facultés, etc., sont entièrement le résultat des circonstances dans lesquelles la race de chaque espèce s’est trouvée assujettie par la nature.

Je pourrais prouver que ce n’est point la forme soit du corps, soit de ses parties, qui donne lieu aux habitudes, à la manière de vivre des animaux ; mais que ce sont au contraire les habitudes, la manière de vivre et toutes les circonstances influentes qui ont, avec le temps constitué la forme du corps et des parties des animaux. Avec de nouvelles formes, de nouvelles facultés ont été acquises et peu à peu la nature est parvenue à l’état où nous la voyons actuellement. » (J.B. Lamarck, 1800)

« En effet, en considérant d’abord l’organisation animale la plus simple, pour s’élever ensuite graduellement jusqu’à celle qui est la plus composée, comme depuis la monade qui, pour ainsi dire n’est qu’un point animé, jusqu’aux animaux à mamelles, et parmi eux jusqu’à l’homme, il y a évidement une gradation nuancée dans la composition de l’organisation de tous les animaux et dans la nature de ses résultats, qu’on ne saurait trop admirer et qu’on doit s’efforcer d’étudier, de déterminer et de bien connaître.

De même, parmi les végétaux, (…) il y a évidement une gradation nuancée, en quelques sorte analogue à celle qu’on remarque dans les animaux. » (J. B. Lamarck, 1800)

« Entre des individus de même espèce, dont les uns sont continuellement bien nourris, et dans des circonstances favorables à tous leurs développements, tandis que les autres se trouvent dans des circonstances opposées, il se produit une différence dans l’état de ces individus, qui peu à peu devient très remarquable.

Que d’exemples ne pourrais-je pas citer à l’égard des animaux et des végétaux, qui confirmeraient le fondement de cette considération ! Or, si les circonstances restant les mêmes, rendent habituel et constant l’état des individus mal nourris, souffrants ou languissants, leur organisation intérieure en est à la fin modifiée et la génération entre les individus dont il est question conserve les modifications acquises et finit par donner une race très distincte de celle dont les individus se rencontrent sans cesse dans des circonstances favorables à leurs développements.

[…] Ce que la nature fait avec beaucoup de temps, nous le faisons tous les jours en changeant nous-mêmes subitement par rapport à un végétal vivant, les circonstances dans lesquelles lui et tous les individus de son espèce se rencontraient.

[…] Le froment cultivé (Triticum sativum) n’est-il pas un végétal amené par l’homme à l’état où nous le voyons actuellement ? Qu’on me dise dans quel pays une plante semblable habite naturellement, c’est-à-dire sans y être la suite de sa culture dans quelque voisinage ?

(…) Que de races très différentes parmi nos poules et nos pigeons domestiques, nous nous sommes procurées en les élevant dans diverses circonstances et dans différents pays, et qu’en vain on chercherait maintenant à trouver dans la nature ! Qui ne sait que tel oiseau de nos climats que nous élevons dans une cage et qui y vit cinq ou six années de suite, étant après cela replacé dans la nature, c’est-à-dire rendu à la liberté, n’est plus en état de voler comme ses semblables qui ont toujours été libres ? Le léger changement de circonstance opéré sur cet individu, n’a fait, à la vérité, que diminuer sa faculté de voler, et sans doute n’a opéré aucun changement dans la forme de ses parties. Mais si une nombreuse suite de générations des individus de la même race avait été tenue en captivité pendant une durée considérable, il n’y a nul doute que la forme même des parties de ces individus n’eut peu à peu subi des changements notables. À plus forte raison, si au lieu d’une simple captivité constamment soutenue à leur égard, cette circonstance eut été en même temps accompagnée d’un changement de climat fort différent et que ces individus, par degrés eussent été habitués à d’autres sortes de nourritures et à d’autres actions pour s’en saisir, certes, ces circonstances, réunies et devenues constantes, eussent formé insensiblement une nouvelle race alors tout à fait particulière. » (J. B. Lamarck, 1809)

« Il n’est pas douteux qu’à l’égard des animaux des changements importants dans les circonstances où ils ont l’habitude de vivre n’en produisent pareillement dans leurs parties, mais ici les mutations sont beaucoup plus lentes à s’opérer que dans les végétaux et, par conséquent, sont pour nous moins sensibles et leur cause moins reconnaissable. (…) Mais ce qu’on ne sait pas assez et même ce qu’en général on se refuse à croire, c’est que chaque lieu lui-même change, avec le temps, d’exposition, de climat, de nature et de qualité, quoique avec une lenteur si grande, par rapport à notre durée, que nous lui attribuons une stabilité parfaite. » (J. B. Lamarck, 1809)

Extraits de différents documents de C. Darwin
« Lorsque je visitai l’archipel des Galápagos, situé dans l’océan Pacifique, à environ 500 miles des côtes de l’Amérique du Sud, je me vis entouré d’espèces particulières d’oiseaux, de reptiles et de plantes, n’existant nulle part ailleurs dans le monde. Presque tous portaient un cachet américain. Dans le chant de l’oiseau moqueur, dans le cri rauque du faucon, dans les grands opuntias en forme de chandeliers, j’apercevais nettement le voisinage de l’Amérique, bien que les îles, séparées de la terre ferme par bien des lieues d’océan, en différassent notablement par leur constitution géologique et leur climat. Un fait plus surprenant encore était la différence spécifique de la plupart des habitants de chacune des îles séparées de cet archipel quoique voisines les unes des autres.

Cet archipel avec ses innombrables cratères et ses ruisseaux de lave dénudée, paraît être d’origine récente ; et je me figurai presque assister à l’acte même de la création. Je me suis souvent demandé comment ont été produits ces animaux et ces plantes si particuliers ; la réponse la plus simple me paraissait être que les habitants des diverses îles étaient provenus les uns des autres, en subissant dans le cours de leur descendance quelques modifications, et que tous les habitants de l’archipel devaient provenir naturellement de la terre la plus voisine, de colons fournis par l’Amérique. » (C. Darwin, 1859)

« De tels faits [relatifs à la distribution des espèces en Amérique du Sud et aux Galápagos], comme bien d’autres, pouvaient évidemment s’expliquer par l’hypothèse d’une modification progressive des espèces ; la question me hantait. Mais, et c’était tout aussi évident, ni l’influence de l’environnement, ni la volonté des organismes (surtout dons le cas des plantes), ne pouvaient rendre compte des innombrables cas où les organismes de toutes sortes se sont magnifiquement adaptés à leurs conditions d’existence quand, par exemple, un pic ou une reinette arboricole se mettait à grimper aux arbres, ou dans le cas de la dispersion des semences par crochets ou plumes. J’ai toujours été frappé par une telle faculté d’adaptation, et jusqu’à ce qu’on puisse l’expliquer, il me semblait presque inutile de démontrer, par un biais indirect que les espèces ont été modifiées.

À mon retour d’Angleterre, je compris qu’il fallait suivre l’exemple de Lyell en géologie, et collecter tous les faits relatifs, d’une manière quelconque, à la variation des animaux et des plantes, qu’ils fussent domestiques ou sauvages : ainsi parviendrait-on peut-être à jeter quelque lumière sur le sujet… Je compris bientôt que la sélection constituait la clé de voûte de la réussite humaine en matière de production d’espèces utiles, tant animales que végétales.

Mais comment la sélection pouvait-elle s’appliquer à des organismes vivant dans un pur état de nature ? Cela resta longtemps pour moi un mystère. En octobre 1938, c’est-à-dire quinze mois après le début de mon enquête systématique, il m’arrive de lire, pour me distraire, l’essai de Malthus sur la population ; comme j’étais bien placé pour apprécier la lutte omniprésente pour l’existence, du fait de mes nombreuses observations sur les habitudes des animaux et des plantes, l’idée me vint tout-à-coup que dans ces circonstances, les variations favorables auraient tendance à être préservées, et les défavorables à être détruites. II en résulterait la formation de nouvelles espèces. J’avais donc enfin trouvé une théorie sur laquelle travailler. » (C. Darwin, 1881)

« Pourquoi l’individu meurt-il ? Pour perpétuer certaines particularités (donc adaptations) et oblitérer des variétés accidentelles, et pour s’accommoder à changer parce que, naturellement, changer, même dans les variétés, c’est s’accommoder. Cet argument s’applique aux espèces. »

« Tous les animaux d’une même espèce sont liés ensemble, tout à fait comme les bourgeons des plantes, qui meurent en même temps, quoique produits à des époques différentes … » (C. Darwin, 1837)

« … (un problème de grande importance) est la tendance qu’ont les êtres organiques d’une même origine à diverger dans leur caractère une fois qu’ils se modifient. (…) La solution à ce que je crois est la suivante : la descendance modifiée de toutes les formes dominantes et croissantes tend à s’adapter au fur et à mesure à des situations nombreuses et diversifiées toujours possibles dans l’économie de la nature. » (C. Darwin, 1881).

« j’arrive à la conclusion que les conditions extérieures font extrêmement peu de chose, si ce n’est de causer une simple variabilité. Je considère cette simple variabilité (qui fait que l’enfant ne ressemble pas absolument à ses parents), comme très différente de la formation d’une variété marquée ou d’une nouvelle espèce (sans nul doute la variabilité est gouvernée par des lois et je m’efforce un peu, en aveugle, de les découvrir). » (C. Darwin, 1856)

« Ce terme, (le hasard), qui cela va sans dire, est incorrect, sert simplement à indiquer notre ignorance complète de la cause de chaque variation particulière. Quelques auteurs croient que la production des différences individuelles ou de légères déformations de conformation est autant une fonction du système reproducteur que peut l’être la ressemblance de l’enfant avec ses parents. Mais les faits (…) semblent montrer que la variabilité est en relation directe avec les conditions extérieures auxquelles chaque espèce a, pendant plusieurs générations successives pu être exposée. J’ai cherché à établir (…) que les changements dans les conditions agissent de deux manières : directement sur tout ou partie de l’organisme, ou indirectement par l’intermédiaire du système reproducteur. » (C. Darwin, 1859)

« Il est incontestable que, chez les animaux domestiques, l’usage fortifie et développe certaines parties, que le défaut d’usage les diminue, et que des modifications de cette nature sont héréditaires. » (C. Darwin. 1859)

« La réapparition de caractères qui peuvent avoir disparu depuis un grand nombre de générations, des centaines peut-être, est certainement un fait étonnant. Mais lorsqu’une race a été croisée avec une autre, ne fût-ce qu’une fois, sa descendance offre occasionnellement une tendance à faire un retour, par ses caractères, cela pendant un assez grand nombre de générations, de douze à vingt, par exemple, à la race étrangère. Dans une race qui n’a pas été croisée, mais dans laquelle les deux parents ont perdu un caractère que possédait leur ancêtre, la tendance faible ou prononcée à reproduire le caractère perdu peut, d’après tout ce que nous pouvons savoir, se transmettre pendant un nombre indéterminé de générations. L’hypothèse la plus probable de la réapparition après un grand nombre de générations, d’un caractère perdu dans la race est que dans chaque génération successive, le caractère en question se trouvait à un état latent, pour se développer finalement sous l’influence de conditions favorables inconnues. » (C. Darwin, 1859)

« … par sélection j’entends le choix des individus possédant une qualité désirée quelconque … Il doit y avoir eu aussi une sorte de sélection inconsciente dès les temps les plus anciens, en particulier pour conserver les animaux individuels (sans préoccupation de leurs descendants) les plus utiles à chaque race humaine dans les conditions les plus spéciales. Le « roguing », comme les éleveurs appellent la destruction des variétés qui s’écartent de leur type, est une sorte de sélection. Je suis convaincu qu’une sorte de sélection intentionnelle et occasionnelle a été le principal agent dans la création de nos races domestiques. Quoi qu’il en soit, sa puissance de modification a été démontrée d’une façon irréfutable depuis peu de temps. »

« On peut prouver, je crois, qu’il existe à l’œuvre une puissance infaillible (un « être »… qui continuerait pendant des millions de générations à choisir dans un but unique ; que ne pourrait-il faire ?), une « Sélection naturelle » (titre de mon livre) qui choisit exclusivement dans l’intérêt de chaque être organisé. »

« Étudions maintenant un pays qui subirait un changement. Ses habitants varieraient légèrement ; mais je crois que de tout temps les êtres varient suffisamment pour permettre à la sélection d’agir d’une façon continuelle. Une partie de ses habitants serait exterminée ; le restant serait exposé à l’action mutuelle d’une différente série d’habitants, ce qui, je crois, influencerait davantage la vie de chaque être que ne le ferait le climat.

(…) Je ne puis douter que durant des millions de générations des espèces individuelles naîtront avec de légères variations profitables à une partie quelconque de l’économie : quelques-unes auront plus de chances de survivre en propageant cette variation, qui sera encore augmentée par l’action cumulative de la sélection naturelle ; la variété ainsi formée coexistera avec la variété parente, ou, le plus souvent finira par l’exterminer. »

« j’ai donné le nom de « sélection naturelle » ou de « persistance du plus apte » à la conservation des différences et des variations individuelles favorables et à l’élimination des variations nuisibles. »

« (La lutte pour l’existence) est la conséquence nécessaire et inévitable de la forte raison géométrique qui régit [l’accroissement des êtres organisés], et constitue l’application aux règnes animal et végétal de la doctrine de Malthus. Les individus qui naissent dans chaque espèce étant beaucoup plus nombreux que ceux qui peuvent survivre, il en résulte une lutte incessante pour l’existence entre tous les concurrents, lutte en suite de laquelle tout individu qui, sous l’action complexe et souvent variable des conditions extérieures, aura varié d’une manière si légère que ce soit, mais avantageuse pour lui, aura plus de chances de survivre à ses concurrents et de se retrouver ainsi naturellement conservé ou sélectionné. Cette variété ainsi épargnée tendra, en vertu du principe énergique de l’hérédité, à transmettre à ses descendants sa forme modifiée et nouvelle. » (C. Darwin, 1859)

On peut dire de chaque être organise qu’en se propageant rapidement il combat de toutes ses forces pour augmenter en nombre. II en est de même pour les rejetons de n’importe quelle espèce, après qu’elle s’est scindée en variétés ou sous-espèces, ou espèces vraies. On peut, je crois, déduire des faits précédents que les rejetons variables de chaque espèce essayeront (un petit nombre seul y réussira) de s’emparer d’autant et d’aussi diverses localités qu’en fournit l’économie de la nature. Chaque variété, chaque espèce nouvelle, une fois formée, prendra en général la place de sa parenté moins bien douée et l’exterminera ainsi. Je crois que ceci peur être l’origine de la classification ou de l’arrangement de tous les êtres organisé de tous les temps.

« La sélection naturelle, agissant par concurrence, ne tend à rendre les animaux de chaque pays parfaits, que relativement à ses autres habitants ; nous ne devons par conséquent nullement nous étonner de voir une espèce d’un pays donné (…) être vaincue et remplacée par des produits venant d’autre pays. Nous ne devons pas non plus nous émerveiller de ce que, à notre point de vue, toutes les combinaisons de la nature ne soient pas parfaites, et même que quelques-unes soient contraires à nos idées d’appropriation. (…) Ce qu’il y a réellement de plus étonnant dans la théorie de la sélection naturelle, c’est qu’on n’ait pas observé encore plus de cas du défaut d’une perfection absolue. » (C. Darwin, 1859)

Le déterminisme de Laplace
Nous devons envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée, et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle et l’avenir comme le passé serait présent à ses yeux. L’esprit humain offre, dans la perfection qu’il a su donner à l’astronomie, une faible esquisse de cette intelligence. Ses découvertes en mécanique et en géométrie, jointes à celles de la pesanteur universelle, l’ont mis à portée de comprendre dans les mêmes expressions analytiques les états présents et futurs du système du monde.

      Laplace, Essai philosophique sur les probabilités.

La science moderne et le déterminisme
Nous nous trouvons dans un monde déroutant. Nous voulons donner un sens à ce que nous voyons autour de nous et poser les questions : quelle est la nature de l’univers ? Quelle est notre place dans l’univers et d’où venons-nous, lui et nous ? Pourquoi est-il ce qu’il est ?

Pour essayer de répondre à ces questions, nous adoptons quelques « représentations du monde ». Exactement comme une tour sans fin de tortues supportant la terre plate est une de ces représentations, la théorie des super-cordes en est une autre. Les deux sont des théories de l’univers, bien que la dernière soit plus mathématique et plus précise que la précédente. Ces deux théories manquent de preuves observationnelles : personne n’a jamais vu une tortue géante avec la Terre sur son dos, mais personne n’a vu non plus de super-corde. Cependant, la théorie de la tortue échoue à être une bonne théorie scientifique parce qu’elle prédit que les gens devraient être capables de tomber du bord du monde. Cela n’est pas en accord avec l’expérience, bien que cela puisse apparaître comme l’explication des prétendues disparitions dans le Triangle des Bermudes !

Les premières tentatives de description et d’explication de l’univers ont fait intervenir l’idée que les événements et les phénomènes naturels étaient contrôlés par des esprits doués de sentiments humains qui réagissaient de façon très humaine et imprévisible. Ces esprits habitaient des objets naturels, comme les rivières et les montagnes, y compris les corps célestes comme le Soleil et la Lune. Il fallait leur plaire et leurs faveurs étaient recherchées pour assurer la fertilité de la terre nourricière et la succession des saisons. Petit à petit, cependant, on dut noter qu’il y avait une certaine régularité : le Soleil se levait toujours à l’est et se couchait a l’ouest, qu’un sacrifice ait été offert ou non au dieu du Soleil. De plus, le Soleil, la Lune et les planètes suivaient des trajectoires dans le ciel qui pouvaient être prédites avec une précision remarquable. Le Soleil et la Lune restaient encore des dieux, mais c’étaient des dieux qui obéissaient à des lois strictes, apparemment sans aucune exception, si l’on écarte les histoires comme celles de Josué arrêtant la course solaire.

Au début, ces régularités et ces lois ne furent générales que pour l’astronomie et un petit nombre d’autres situations. Cependant, au fur et à mesure que la civilisation se développait, et particulièrement au cours des trois cents dernières années, de plus en plus de régularités et de lois furent découvertes. Le succès de ces lois amena Laplace, au début du XIXe siècle à postuler le déterminisme scientifique : il suggéra qu’il devait exister un ensemble de lois déterminant l’évolution de l’univers avec précision, une fois sa configuration donnée à un certain moment.

Le déterminisme de Laplace était incomplet de deux façons. Il n’indiquait pas comment les lois devaient être choisies et il ne spécifiait pas la configuration initiale de l’univers. Cela était laissé à Dieu. Dieu choisissait comment l’univers avait commencé et à quelles lois il obéirait, mais Dieu n’intervenait pas dans l’univers une fois celui-ci enclenché. En fait, Dieu était confiné dans les régions que le XIXe siècle ne comprenait pas.

Nous savons maintenant que les espoirs de déterminisme de Laplace ne peuvent se réaliser, au moins dans le sens qu’il donnait à ce mot. Le principe d’incertitude de la mécanique quantique implique que certaines paires de quantités, comme la position et la vitesse d’une particule, ne peuvent être toutes deux prédites avec une complète exactitude.

La mécanique quantique s’occupe de cette situation via une classe de théories quantiques dans lesquelles les particules n’ont pas de positions ni de vitesses bien définies mais sont représentées par une onde. Ces théories quantiques sont déterministes au sens où elles donnent des lois pour l’évolution de l’onde dans le temps. Aussi, si l’on connaît l’onde à un moment, on peut la calculer à n’importe quel autre moment. L’imprévisible, l’élément de hasard n’intervient que lorsque nous essayons d’interpréter l’onde en termes de positions et de vitesses de particules. Mais peut-être est-ce notre erreur : peut-être n’y a-t-il ni position ni vitesse de particule, seulement des ondes. Il est normal que nous essayions de faire coïncider les ondes avec nos idées préconçues de positions et de vitesses. Les difficultés qui en résultent sont la cause de la non-prédictabilité apparente.

En fait, nous avons redéfini la tâche de la science comme la découverte de lois qui nous rendront capables de prédire les événements dans les limites posées par le principe d’incertitude. La question reste cependant : comment et pourquoi les lois et l’état initial de l’univers ont-ils été choisis ?

Hawking S.

Une brève histoire du temps (op. cit.)

pp. 208-212

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