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Évolution et sélection naturelle

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[Taxon précédant] [Monde animal] [Via Gallica]

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L’évolution, telle que l’imagine la doctrine darwinienne, en puisant ses matériaux de construction parmi les mutants, ne peut se passer du hasard qui est son fournisseur, mais la sélection à laquelle elle recourt pour ajuster les mutations à la nécessité (?) ou à la simple utilité, devient l’antihasard, le mainteneur de l’ordre. Ainsi, la doctrine sous sa forme la plus élaborée, ménage la chèvre et le chou et s’efforce de concilier chaos et ordre, apparemment inconciliables.

En conséquence, elle lie étroitement l’adaptation à la sélection, la première dépendant de la seconde. Cette conception a influencé, à la fois, la manière d’évaluer l’utilité des caractères présentés par l’être vivant et l’interprétation de la genèse de l’adaptation. Toute étude critique doit donc porter sur l’une et l’autre de ces deux notions. Aussi avons-nous consacré un chapitre à l’étude de chacune d’elles.

L’idée de sélection

L’idée d’une sélection triant les variants au sein d’une population, séparant les aptes des inaptes, a été exprimée bien avant le XIXe siècle par maint naturaliste ou philosophe. Aristote, éternel précurseur, dans le livre IX des Parties des Animaux a énoncé le principe même de la compétition pour la vie : « Les animaux sont en guerre les uns contre les autres, quand ils habitent les mêmes lieux et qu’ils usent de la même nourriture. Si la nourriture n’est pas assez abondante, ils se battent, fussent-ils de la même espèce. » Il se demande même dans sa Physique (livre II, chap. VIII), « si de cette lutte n’auraient pu résulter l’extinction des formes insuffisamment adaptées aux conditions d’existence et la conservation des formes bien adaptées, d’où l’apparente finalité que nous observons. Mais il repousse aussitôt cette idée, la finalité dans la nature étant la règle et non l’exception ; il considère d’ailleurs que les ressources de la nature sont assez grandes pour rendre impossible la destruction d’une de ses œuvres. Et puis, tous les animaux ne sont pas en lutte ; il en est qui sont amis » (E. Perrier, La philosophie zoologique avant Darwin, F. Alcan, Paris, 1896, page 16). Dans d’autres écrits de l’Antiquité, on relève des allusions à la compétition entre animaux et à la survivance du plus apte, notamment dans le Natura rerum de Lucrèce. Mais aucun philosophe ou naturaliste n’en tire un principe général : la notion d’évolution faisait défaut. C’est à Darwin et à Wallace (1858) qu’appartient vraiment l’idée d’attribuer à la lutte pour l’existence un rôle sélectif entraînant l’évolution des êtres vivants. Dans l’explication du mécanisme évolutif, présentée conjointement par Darwin et Wallace, l’idée que seuls persistent les individus les plus aptes à lutter contre leurs semblables, leurs ennemis de tous ordres, l’adversité climatique, à trouver de la nourriture, à résister aux maladies infectieuses, etc., est de beaucoup la plus originale.

Ils en ont pris l’inspiration et la justification dans le livre du physiocrate Malthus, Essai sur le principe de population, 1798 (voir Wallace, 1908), qui a mis en lumière le déséquilibre existant entre la multiplication des humains et la quantité de nourriture disponible, en même temps que les causes des pertes que subissent les populations.

La sélection naturelle reste la clé de voûte de la doctrine darwinienne qui en postule l’universalité et en fait l’agent responsable de l’évolution de tous les êtres organisés. N’ont survécu que les formes viables (ce qui est un truisme), n’ont persisté que les dispositifs adéquats à leur fonction. Au désordre des mutations aléatoires, la sélection substitue l’ordre, l’équilibre, voire l’harmonie.

C’est là une interprétation dont il faut démontrer l’exactitude.

Dire d’un certain ensemble d’objets ou d’êtres vivants qu’il est en équilibre avec le milieu ou que ses composants le sont entre eux, ne signifie point que cet équilibre et l’état de l’ensemble résultent d’une sélection, d’un tri antérieur.

Ainsi, l’état actuel du Macrocosme et de ses astres ne résulte nullement d’un tri mais du passage d’un état à un autre, le changement se poursuivant jusqu’à ce qu’une certaine stabilité soit réalisée, stabilité qui, à son tour, sous l’influence de causes internes ou externes, sera rompue.

Faire intervenir la sélection, c’est finaliser le système. Il ne saurait y avoir de tri sans intention. Que ce soit la nécessité qui l’anime, ou tout autre facteur, qu’importe ; les causes changent mais n’en sont pas moins finalisantes.

Ce qui nous intéresse, pour l’instant, est de savoir dans quelle mesure les pertes subies par toute population animale ou végétale interviennent dans le processus évolutif.

La sélection au cours de l’ontogénèse

Les espèces, tant animales que végétales, subissent des pertes énormes qui portent en premier lieu sur les éléments reproducteurs et les embryons. En dépit de leur fécondité fort élevée, maintes populations demeurent numériquement stables, ce qui veut dire qu’à un couple succède un autre couple. Cet état de choses atteste l’importance de la mortalité des germes, des embryons, des jeunes.

Chez les animaux où l’acte reproducteur rassemble des foules d’individus, la destruction tourne au massacre. Les innombrables Termites et Fourmis essaimants qui sortent en masse de leur nid, sont attaqués avec frénésie par des prédateurs. Survivent les quelques couples qui ont bénéficié d’un abri trouvé dans le sol, dans une anfractuosité d’écorce.., et cela sans qu’interviennent les qualités propres de l’Insecte, sans que joue le moindrement la sélection. Les « nuages » d’Annélides polychètes se rendant à leurs noces sont, tout autant que les essaims d’Insectes, victimes de nombreux et insatiables ennemis.

Les destructions colossales d’œufs, de spermatozoïdes, de graines, de larves ne sont pas sélectives. La mort ne choisit pas ses victimes : elle frappe en aveugle. Les gamètes mal conformés, et ils sont fort nombreux, ne prennent que rarement part à la fécondation du fait de leur incapacité fonctionnelle. Mais un œuf ou un spermatozoïde peut porter des gènes létaux et donner un embryon qui se développe normalement jusqu’à l’entrée en action de ces gènes, parfois vers la fin de l’ontogenèse. Les statistiques révèlent que, dans l’espèce humaine, 2 % des avortons et des mort-nés souffrent d’une anomalie chromosomique (le plus souvent une polysomie) ; parmi les 7 % des avortons restants, il est vraisemblable qu’une forte proportion d’entre eux sont victimes de gènes létaux.

Au cours du développement embryonnaire et des premiers âges, l’élimination du pire, du pathologique joue à plein ; elle protège le génotype, mais n’exerce pas une influence directrice sur l’évolution.

La sélection et l’accident

Les pertes massives dues aux cataclysmes qui ravagent de vastes espaces ont un effet peu sélectif sur les animaux et les végétaux. Ils frappent aveuglément, au hasard des lieux ou des circonstances : le raz-de-marée, l’inondation, l’incendie de forêt ou de savane, etc., ne trient pas leurs victimes.

L’ouragan qui abat des pans de forêt n’exerce pas une action vraiment sélective : mais les chablis créent un milieu propice à certaines espèces, contraire à d’autres. Dans la forêt primaire équatoriale, les larges blessures ouvertes par les tornades sont des places vides où la compétition interspécifique se montre vive et où se succèdent des groupements végétaux qui parcourent un cycle dont le terme constant n’est rien d’autre que le retour à la forêt primaire, climax du milieu considéré.
Toutefois, les incendies allumés chaque année par les indigènes dans les savanes africaines, au cours de la saison sèche, épargnent quelques espèces végétales dites pyrophytes qui, grâce à l’épaisseur de leur écorce, à leurs organes souterrains, à la succulence de leurs tissus, résistent à la chaleur et aux flammes.

Ainsi la « préadaptation » (notion généralisée par Lucien Cuénot), favorise certaines espèces qui, après le passage de l’incendie, deviennent prédominantes. C’est le cas, dans les savanes centrafricaines, des Hygrophila et des Lepidagathis (des Acanthacées) qui sont des plantes basses dont les capsules renfermant les graines s’ouvrent difficilement ; lors de l’incendie, les fruits, agglomérés en amas, ne sont que léchés par les flammes, mais, modifiés par la vive chaleur, dès la première rosée, ils éclatent et projettent leurs graines au loin, favorisant la dispersion et l’expansion de la plante.

L’incendie exerce une action évidente sur la composition de la flore. Mais, les études précises faisant défaut, on ne peut affirmer qu’il favorise, au sein d’une même espèce, un génotype plutôt qu’un autre. De toute façon, il ne provoque pas l’apparition de nouveautés. La sélection des pré-adaptés modifie la composition du peuplement végétal mais ne constitue pas une évolution véritable car les individus eux-mêmes demeurent inchangés. Dès que cessent les incendies périodiques, le facteur sélectif ne joue plus ; les pyrophytes n’étant plus favorisés, le peuplement végétal redevient ce qu’il était avant que le feu ne le modifie.

N’allons point confondre l’évolution créatrice avec les variations de composition d’une population, selon les circonstances. Les deux phénomènes sont distincts ; tenter de les lier ne peut être qu’une opération spécieuse. Les exemples de préadaptations proposés jusqu’ici (sélection par le gel d’individus résistant au froid au sein d’une population végétale, des pyrophytes parles feux de brousse, de Crustacés aquatiques ou de Poissons euryhalins par les variations de salure, par le vent d’Insectes aptères …) ne concernent que des caractères qui ne touchent pas le plan d’organisation et n’engagent jamais l’espèce dans une voie nouvelle.

Au total, les destructions massives frappent au hasard, à tort et à travers. Après les cataclysmes, les pré-adaptés, si par fortune il s’en trouve, sont seuls à subsister et la composition de la flore et de la faune s’en trouve modifiée, mais le statut génique des individus est peu changé et aucune variation de grande ampleur n’est observée.

L’élimination sélective

Les morts accidentelles importent pour la croissance, le déclin ou l’équilibre des populations, mais n’influencent guère l’évolution.

Après les massacres aléatoires, dans les populations qui leur ont échappé, entre larves, jeunes et adultes, s’instaurent des compétitions plus ou moins sévères d’où résultent, selon la théorie, la persistance du plus apte, c’est-à-dire en termes de génétique, le génotype le mieux adapté à l’environnement. L’élimination, de quelconque, devient sélective.

La survivance du plus apte résulte d’une action essentiellement suppressive. Si elle jouait à plein, les populations naturelles uni-spécifiques tendraient vers l’unification du génotype et les populations plurispécifiques tendraient vers l’uni-spécificité. Or, le moins bon persiste et les populations naturelles demeurent très fortement hétérogènes (génétiquement parlant). Aussi convient-il de connaître les modalités de la sélection naturelle. Les études ont porté, plus sur des populations expérimentales, que sur des populations naturelles.

Si, dans la très grande majorité des cas, le mutant généralement « inférieur » au type sauvage se trouve éliminé, il en va parfois autrement ; le mutant se maintient, s’installe dans la population. Il en fut ainsi pour un allèle de sepia (couleur de l’œil) que Teissier (1943) vit apparaître dans un élevage de Drosophiles : Sepia augmenta graduellement en nombre et pendant une vingtaine de générations se stabilisa autour d’une valeur fixe.

Les études démographiques sur les populations expérimentales de Drosophiles ont appris que les valeurs sélectives des génotypes dépendent des conditions de milieu dans lequel vivent lesdites populations.

Le mouvant des êtres vivants se constate de bien des façons. En voici une qui, pour l’évolutionniste, a une valeur particulière. Je l’emprunte à l’œuvre de G. Teissier, que je tiens pour être le biologiste qui a le plus finement étudié la sélection naturelle et dont l’attachement aux idées darwiniennes ne peut être mis en doute. Dans les populations expérimentales de Drosophiles, écrit-il (1958), « la fréquence de certains mutants peut rester sensiblement constante pendant plusieurs dizaines de générations, mais si l’expérience est poursuivie assez longtemps, cette fréquence présente normalement une succession de périodes de stabilité, de croissance et de décroissance, les niveaux atteints successivement pouvant être très différents les uns des autres. Ces variations imprévues et rapides, qui donnent à l’évolution de chacune des populations étudiées ses caractères propres, ne peuvent être expliquées entièrement ni par des variations inapparentes des conditions de milieu ni par une « dérive génique », conséquence du caractère essentiellement aléatoire du choix des gamètes destinés à former les générations nouvelles. Il est permis de croire qu’elles sont la conséquence de changements inapparents survenus dans des systèmes d’allèles autres que ceux sur lesquels porte l’observation ».

Le milieu étant maintenu stable, c’est donc dans la nature même des membres de la population qu’il convient de chercher les causes de la variation du taux des mutants. L’explication proposée par Teissier est Vraisemblablement la bonne. Les mutations neutres et autres mutations inapparentes qui, sans arrêt, différencient les descendants de leurs parents et les individus entre eux modifient les valeurs sélectives des génotypes, peut-être par quelque effet de sommation, d’où les changements de fréquence de leurs diverses sortes.

Si nous nous plaçons dans une perspective évolutionniste, les observations et expériences effectuées sur les populations expérimentales, en milieu constant, nous montrent à quel point la sélection a une action variable, dépendant de nombreuses causes. Lorsque de la cage d’élevage, on passe à la libre nature, la complexité du milieu augmente dans des proportions considérables et difficiles à apprécier : le nombre des génotypes, comme celui des facteurs sélectifs, s’accroît. Il est difficile de mesurer la prise que donne à la sélection tel ou tel caractère. Si la mutation compromet la vie de l’animal ou de la plante, il est aisé d’en connaître les effets sur la population considérée. Il est bien entendu que la mesure des avantages ou des désavantages que procure à son porteur tel ou tel caractère n’a de valeur que si elle tient compte de la comparaison entre le nombre des descendants porteurs et non porteurs de la mutation.

Lorsqu’il s’agit d’un caractère unique et si on opère sur des populations homogènes, c’est-à-dire dont les individus possèdent le même génotype à l’exception d’un gène, on peut affirmer que les différences des nombres se réfèrent bien au caractère différentiel pris en considération. Dans les populations hétérogènes, les actions et interactions géniques sont si complexes qu’il devient difficile d’être affirmatif.

Comme les espèces diffèrent par des nombres élevés de gènes, les comparaisons faites entre elles, pour établir la valeur sélective d’un caractère, n’ont guère de signification. Les inégalités démographiques sont dues à trop de causes pour que nous puissions préciser laquelle est, efficace, en plus ou en mois.

Evaluer l’avantage ou le désavantage que confère un caractère sans forte incidence sur son porteur est malaisé. Par exemple, les études statistiques sur les populations de l’Escargot des bois (Cepaea nemoralis),effectuées en France par Lamotte (1951, 1966) et en Grande-Bretagne par Cain et Sheppard (1950.1954), Cain et Currey (1963, 1968 a et b)… n’ont pas conduit leurs auteurs aux mêmes conclusions. Lamotte estime que les bandes noires absentes ou présentes et plus ou moins développées ne donnent pas prise à la sélection. Les auteurs anglais sont d’un avis opposé ; ils attribuent à la sélection les taux plus ou moins élevés d’individus à bandes ou sans bandes. Le débat, malgré ce qu’en dit E. B. Ford (1971), n’a pas reçu de conclusion définitive, sûre, satisfaisante. L’opposition des données a d’autant plus d’intérêt que les auteurs sont tous de stricte obédience darwinienne. Il est important de rappeler que des coquilles de Cepaea, trouvées dans des dépôts pléistocènes (1 million d’années environ), portaient déjà des bandes noires et rouges (Diver, 1929). Ce simple fait indique le peu d’importance que peuvent avoir les ornements sur la survie de l’espèce : le juge dans l’affaire, c’est l’histoire ; son verdict est clair et s’exprime par la survivance ou l’extinction. Mesurer ce qui est avantageux et ce qui ne l’est pas étant impossible sur les populations d’animaux fossiles, tout ce qu’on raconte sur la valeur sélective de tel ou tel caractère d’un animal est pure imagination. Ce n’est point parce que dans une population d’Oursins cidarides, les individus à longs piquants deviennent plus nombreux, que le caractère « long piquant » est la cause de leur prédominance ; il peut être la conséquence très naturelle d’une croissance que l’âge n’arrête pas. Un tout autre caractère (résistance aux parasites, pertes embryonnaires plus faibles, etc.) en est la cause possible. L’imagination a le champ libre ; sachons la brider.

S’il est difficile de prévoir le destin d’une population expérimentale, malgré la haute qualité des instruments mathématiques dont dispose le démographe et sa maîtrise des paramètres intervenant dans le milieu il l’est bien davantage, lorsqu’il s’agit d’une population naturelle ; la tâche devient alors quasiment impossible. L’aléa des mutations inapparentes s’oppose, à lui seul, à une prévision tant soit peu sûre du destin de la population.

Comme nous le disons ailleurs, dans ce livre, la théorie triomphe à condition de ne pas être confrontée avec la réalité, qui la déborde par sa complexité.

La mutabilité, à la lumière des découvertes accomplies par la biologie moléculaire, dépasse de beaucoup les chiffres tenus, il y a moins de trente ans, comme étant de valeurs maximales. On est presque en droit de dire que tout gène mute et souvent ; mais les mutations de très faible amplitude (mutations neutres de Goodman et autres biomolécularistes), phénotypiquement inobservables, sont de beaucoup les plus fréquentes ; l’analyse des protéines a permis de s’en rendre compte (hémoglobines, et autres).

Sous une apparence stable, constante, le monde vivant est bien ce que Montaigne appelait une « branloire pérenne ». Stabilité dans la variation telle est la règle paradoxale, apparemment contradictoire que suivent les êtres vivants. La variabilité affirme et souligne l’individualité. Elle confère à chaque créature vivante sa structure propre, son chimisme particulier. Chaque individu possède « ses » protéines qui matérialisent sa personnalité.

La fluctuation par menues erreurs de copie, qui émaillent les produits des gènes, a pour première conséquence, de « personnaliser » tout génotype, tout phénotype.

Les mutations que nous détectons par l’observation directe correspondent aux grossières erreurs de copie ; elles apportent, pour la plupart, des troubles dans la forme et dans la santé de l’animal qui les subit. À la limite du pathologique, du monstrueux, ces mutations sont éliminées et cela n’a rien de surprenant. Vie et désordre sont incompatibles.

La compétition est-elle universelle?

La sélection, résultant de la compétition entre individus de la même espèce ou d’espèces différentes, attribue une prime de survie ou de « reproductibilité » aux mieux doués.

On connaît le vieil exemple des Loups chasseurs de Daims, les plus véloces survivent car ils sont les mieux nourris, étant ceux qui capturent le plus de proies. Lucrèce fut le premier à le donner, Darwin l’a repris. Mais il n’a qu’un vice et il est de taille, il est faux : les Loups comme les Chiens sauvages chassent en meute et à courre jusqu’à épuisement de leur proie. Le groupe force la proie ; tous les membres de la meute participent à la poursuite et à la curée. Il n’y a pas de « champions » qui, seuls s’approprient la nourriture. La poursuite solitaire est exceptionnelle, elle est le fait de vieux mâles ou d’individus chassés du clan ; elle n’intéresse pas les reproducteurs, les mâles dominants du clan. Le rang occupé dans la hiérarchie sociale a une tout autre importance pour le destin de l’individu et peut l’exclure de la reproduction (castration psychologique).

Dans certains milieux et pour certaines espèces, il faut beaucoup d’imagination pour découvrir l’œuvre de la sélection. En voici un exemple qui nous revient en mémoire. Entre les Galagos (Primates lémuriens), qui vivent surtout en forêt, la compétition ne se manifeste pas. Les Insectes dont ils font une grande consommation en tout temps sont si abondants qu’ils n’ont aucune peine à en capturer à leur suffisance. Pour les fruits, les choses sont différentes. Leur disette tient non à une surpopulation, mais au cycle saisonnier de leur production. Il arrive en certains mois, qu’aucun arbre ne porte de fruits. Les Galago elegantulus friands des gommes, qui s’écoulent le long du tronc d’essences forestières, ne voient diminuer cet aliment que pendant quelques semaines de la saison sèche. En fait, la disette ne sévit jamais pour les omnivores que sont ces Lémuriens. Les prédateurs, surtout des Viverridés et des Rapaces, ne prélèvent sur leurs populations qu’un très petit nombre d’individus. Leur action n’est que faible. ment sélective, mais comme on le sait pour d’autres prédateurs (Loutre, par ex.), ils capturent sans doute, avant tout, les individus chétifs, malades et âgés.

Bien des sélections agissent depuis des temps très reculés sans modifier l’espèce.

L’histoire des Loups chasseurs de Daims, invoquée par Darwin, vient d’en fournir un exemple ; l’inégalité de vitesse entre les individus composant la population n’est jamais abolie.

Les Saumons migrateurs comptent parmi eux un contingent d’individus trop faibles pour franchir les rapides ou les barrages des fleuves qu’ils remontent pour frayer.

Dans les deux exemples, les individus éliminés proviennent de géniteurs qui avaient surmonté les obstacles, puisque seuls les vainqueurs ont la possibilité de se reproduire. Les déficients doivent peut-être leur infériorité aux conditions défavorables dans les. quelles ils se sont développés. Leur élimination s’est faite en portant sur des somations et non sur des caractères héréditaires.

Cela montre la complexité des phénomènes concernant l’équilibre des populations et le pouvoir limité de la sélection.

j’ai naguère étudié les peuplements d’0rthoptères dans divers biotopes du territoire français. Je n’ai jamais fait une observation me permettant d’affirmer l’existence d’une compétition intra- ou interspécifique perceptible. Dans les prairies, normalement, les populations subissent des fluctuations numériques et ne se trouvent donc pas en équilibre exact avec le milieu. Mais, sauf dans les rares cas de pullulations (Locusta migratoria f. gallica, Dociostaurus maroccanus, Calliptamus [ italicus?]), les Acridiens disposent d’une quantité illimitée de nourriture. En dehors de la période de reproduction, ils s’ignorent, seuls les individus de quelques espèces se rassemblent sous l’effet de l’inter-attraction sociale. La compétition est nulle. Les pertes subies par les populations sont dues aux conditions climatiques, aux prédateurs (peu nombreux, voire négligeables dans certains biotopes), aux anomalies du développement comme l’atteste le contenu des oothèques. Elles éliminent au gré des circonstances les estropiés, les malades, les ratés de l’ontogenèse, qui peuvent être des individus dont le génotype est hypothéqué par des gènes mutés létaux. On constate des faits analogues dans le sous-ordre des Tettigonoïdes, avec cependant une compétition que le cannibalisme, pratiqué dans certaines circonstances (Tettigonia, Decticus, Homorocoryphus…), augmente légèrement. Les Mantes adultes s’attaquent aux Criquets de taille petite ou moyenne, ainsi qu’aux larves de Tettigonoïdes ; leurs prélèvements sur la population restent toujours très faibles.

Dans divers groupes zoologiques, les compétitions ne sont certes pas négligeables. Parfois une espèce chasse l’autre, ce qui explique la rareté des espèces sympatriques et aussi, sur un même territoire, la localisation de chacune d’elles dans une niche écologique distincte. Les espèces sympatriques ne sont pourtant pas exceptionnelles : les sociétés mixtes de Singes Cercopithécidés de l’Ouest africain où vivent côte à côte, ou presque, Cercopithecus nictitans, C. cephus, C. diana, mêlés à des Cercocebus albigena en fournissent un bon exemple.

En revanche les trois Pangolins du Gabon, bien qu’habitant les mêmes lieux, hantent des niches écologiques distinctes : le Pangolin géant (Manis gigantea), exclusivement terrestre, s’attaque surtout aux nids hypogés de Termites champignonnistes ; le Pangolin à longue queue (Manis longicaudata) est un grimpeur arboricole diurne qui va volontiers à l’eau ; le Pangolin ordinaire (Manis tricuspis) est de moeurs nocturnes et arboricoles, bien que moins arboréal que le précédent. Ces espèces ne se gênent pas mutuellement, car elles n’exploitent pas les mêmes niches écologiques. Entre elles, la compétition est très faible ou presque nulle. Des faits du même ordre existent dans des milliers de genres.

Des expériences, réalisées par des non-naturalistes, mettent en évidence le rôle que joue, dans certains cas, la compétition interspécifique. L’introduction inconsidérée du Renard d’Europe (Vulpes vulpes) en Australie a eu des conséquences funestes sur la faune indigène, déjà en butte aux attaques de Dingo (Canis dingo) qui a été introduit par les hommes venus peupler l’île. La Mangouste (Herpestes griseus) introduite à la Jamaïque puis à la Martinique pour y détruire les Rats (Oryzomys antillarum) et les Serpents, s’est acquittée de cette tâche, mais ensuite s’en est prise aux Mammifères et aux Oiseaux autochtones et leur a fait subir de lourdes pertes.

Le Hibou des îles Seychelles, Gygis alba, est progressivement éliminé par un Hibou d’Afrique introduit par l’Homme, il y a plus d’un siècle, pour lutter contre les Rats amenés par des bateaux venus de Nantes et de La Rochelle, au XVIe siècle. Le Cardinal malgache (ou canari des Seychelles), importé au siècle dernier, prolifère aux dépens des Oiseaux autochtones de sa taille et de même régime alimentaire granivore … Cette liste pourrait être allongée très facilement.

Sélection et démographie

La démographie, dont l’objet est l’étude quantitative des populations et de leurs fluctuations, paraît a priori propre à révéler l’influence de la sélection sur un groupe d’organismes vivants et les modalités de l’élimination. Il ne faut pas perdre de vue que les causes de mortalité sont innombrables et qu’il n’est pas toujours facile, voire possible, de les connaître. Dans une population naturelle ou élevée au laboratoire, attribuer à un caractère porté par certains individus une valeur sélective en dénombrant les descendants de ces individus ne peut être tenu pour légitime que si la statistique concerne des populations placées dans des conditions de milieu ne variant pas et bien connues de l’observateur.

La répartition, la stratégie des gènes, pour reprendre l’expression de Waddington, ont été analysées avec minutie et selon les techniques mathématiques les plus raffinées. La masse des documents ayant trait à la « dynamique des populations » est énorme ; elle vient d’être soumise à une révision approfondie par Sewall Wright dans son traité intitulé « Evolution and the genetics of populations ». Il s’agit d’une œuvre fondée sur les mathématiques, fort méritoire certes, mais qui vaut exactement ce que valent les idées théoriques qui l’inspirent et les données expérimentales, ou autres, sur lesquelles les calculs portent. C’est pour cela que les mathématiques dans le domaine de la biologie n’ont pas eu jusqu’ici valeur de preuve.

Le problème est de savoir s’il est vrai que la dynamique des populations donne l’image, en raccourci, et dans le temps, de l’évolution biologique. Bien que n’ayant pas été clairement énoncé, il n’en est pas moins, implicitement posé. Dans l’esprit des darwiniens, la génétique des populations constitue la partie fonda. mentale de ce qu’ils nomment, tout en restant imprécis, la génétique évolutive.

Il s’agit non de discuter l’exactitude des calculs effectués par les statisticiens et des données de la génétique, mais de savoir si les calculs, les équations et les postulats génétiques concernent vraiment l’évolution, celle que révèlent les documents paléontologiques et non celle des doctrinaires.

Des expériences démographiques se trouvent parfois réalisées dans la nature sans que l’homme y intervienne. Il faut que le biologiste s’en saisisse et en tire les enseignements qu’elles contiennent. Par exemple, dans le Nord du Canada, la chasse aux animaux à fourrure est intense. La Compagnie de la baie d’Hudson, achète les peaux aux trappeurs et en tient une comptabilité précise. L’examen de ses livres a montré que les Lièvres (Lepus arcticus) et les Lynx (Felis [ Lynx] canadensis) suivent des cycles d’abondance qui atteignent leurs maxima tous les neuf ans (plus ou moins un an). Les maxima se montent à 70000-150000 peaux pour les Lièvres, à 50 000. 70 000 pour les Lynx. Les minima se tiennent aux environs de 15 000.

Les Lynx se nourrissent de Lièvres ; leur prédation s’exerce avec force ; les maxima comme les minima coïncident dans les deux populations : les chassés et les chasseurs. La lutte est intense ; les chiffres l’attestent. son effet évolutif est nul. Morphologiquement, physiologiquement, rien ne change dans les Lièvres et dans les Lynx. On peut répéter cette constatation pour les animaux migrateurs (les Insectes migrateurs, à l’exception des Lépidoptères, meurent tous sans laisser de postérité durable) ; la mort n’y est pas différenciatrice ; l’action de la sélection ne s’accompagne d’aucune variation perceptible.

Dans une population en équilibre, un certain génotype assure, mieux que nul autre, le maintien de cet équilibre. En conséquence, tous les individus dotés d’un génotype différent sont éliminés, plus ou moins vite, selon la pression de sélection s’exerçant sur la population (nous savons que ce corollaire n’est pas vérifié par l’expérience. Teissier, 1962).

Si le milieu se modifie, c’est un autre génotype qui convient le mieux aux conditions nouvelles et se substitue à l’ancien devenu inadéquat. Cette substitution n’est évidemment possible que si la sélection a laissé subsister dans la population des combinaisons géniques variées : autrement dit, si elle n’a pas été sévère. C’est ce qui s’observe dans la réalité. G. Teissier (1962) l’a , exprimé en généticien darwinien : « Un fait très important à noter pour la théorie générale de l’évolution est que la « fluctuation génique » de nos populations expérimentales (de Drosophiles) reste toujours très grande, malgré la sévérité de la sélection naturelle qui s’y exerce et que, même après un temps très long, la sélection artificielle y reste efficace. » j’ai pu vérifier l’exactitude de cette assertion. Des Gryllus domesticus, élevés depuis trente-cinq ans au laboratoire, soumis à des expériences sur l’effet de groupe se sont montrés extrêmement hétérogènes, fournissant des réponses très variées, tant au groupement qu’à l’isolement.

Le fait est là ; dans la nature les populations animales ou végétales restent hétérogènes bien que soumises à la sélection naturelle.

Les populations de Bactéries ou d’Insectes détruites par un antibiotique ou un poison constituent des cas extrêmes : si le gène protecteur est présent, son porteur survit, s’il manque, l’individu meurt. Si de telles alternatives se répétaient pour plusieurs gènes ou leurs allèles, il en résulterait un changement rapide et désordonné de la population concernée.

En vérité de tels changements se produisent rarement, car la règle de la variation n’est pas celle du tout ou rien. La sélection manque de sévérité et l’avantage que confèrent certains génotypes à ses porteurs est faible, voire très faible. Ce qui revient à dire que, dans la population, le remplacement du génotype anciennement adéquat par le nouveau préadapté se fait lentement, en fonction du coefficient de sélectivité qui peut être très petit (pour les calculs voir les travaux de Sewall Wright et autres généticiens). Rappelons que les populations européennes d’Escargot des bois (Cepaea nemoralis) sont hétérogènes quant à la coloration de leur coquille depuis au moins un million d’années ! La sélection tend à éliminer les causes de l’hétérogénéité de la population et, par conséquent, à uniformiser le génotype. Elle conserve plus le patrimoine héréditaire de l’espèce, qu’elle ne le transforme.

En somme dans cette affaire, il s’agit surtout de spéculations théoriques, car les populations naturelles sont très hétérogènes, composées qu’elles sont, en majorité, ou en totalité, d’individus hétérozygotes. Ajoutons que l’uniformité des apparences extérieures dissimule bien souvent une hétérogénéité foncière.

La présence de nombreux génotypes hétérozygotes, dans une même population, tient soit à la faiblesse de la sélection, soit à l’état neutre ou indifférent des caractères déterminés par les divers allèles. Les deux causes présumées jouent souvent en même temps et assurent la persistance des divers génotypes.

Il est bien inutile de recourir aux calculs, car si les populations naturelles se révèlent, à l’étude, si haute. ment hétérozygotes, c’est parce que la sélection opère avec efficacité seulement à l’encontre des gènes très nocifs, très pathogènes.

Bien que, d’après la théorie, dans toute population, une combinaison génique précise confère à ses possesseurs une adaptation particulièrement exacte au milieu, certains de ses allèles donnent si peu de prise à la sélection qu’ils persistent dans les générations successives (compte non tenu de l’élimination par dérive génique). Un tel état de fait implique une tolérance de la sélection à l’égard de la composition génique des individus. Si la sélection s’exerçait avec rigueur, tous les génotypes sauf un, celui qui confère le maximum d’adaptation, seraient éliminés. Dans le cas des pré. adaptés (résistance aux antibiotiques, aux pesticides), le gène « anti », avant le contact avec la drogue vénéneuse, ne donnait pas prise à la sélection ; il était neutre. Est-ce pour cela qu’il restait présent dans la population? On peut se le demander.

À la suite de traitements massifs au D.T.T, ou quelques autres insecticides, on a constaté en diverses régions que les populations de Mouches et de Moustiques sensibles avaient été remplacées par des populations résistantes à ces substances. Situation fort préoccupante pour les hygiénistes qui désirent détruire ces Diptères. Les populations de Moustiques (Culex pipiens) de la région lyonnaise résistantes au D.T.T. à la suite de plusieurs traitements sont redevenues sensibles, certaines au bout de 33 générations (Roman et Pichot, 1972), celles des Stégomyies fasciées (Aedes aegypti) d’Haïti rendues résistantes aux insecticides chlorés, par traitements répétés ont recouvré leur sensibilité au bout de 150 générations (Callot,1958). Des faits du même ordre ont été observés sur la Mouche domestique (Musca domestica), la sensibilité revient après 10 à 50 générations ; elle aurait pour origine, comme la résistance, des mutants préadaptés.

On est amené par des considérations, qui tiennent à, la fois de la réalité et de la théorie, à admettre que, dans une population naturelle, il existe des gènes ou leurs allèles qui sont neutres (ni bons, ni mauvais, pour les porteurs et en définitive pour l’espèce), ne donnent pas prise à la sélection et constituent une réserve grâce à laquelle, en cas de changement de milieu, le génotype s’ajuste aux nouvelles conditions. Il suffit de songer à l’infinité des combinaisons génétiques dans l’espèce humaine pour se convaincre de l’exactitude de ce propos.

La sélection élimine le pire, les lourdes tares héréditaires, les déficiences graves … Dans les sociétés « avancées » et riches, la conservation des gènes létaux, l’encrassement du génotype attestent l’efficacité de la médecine qui donne aux tarés les moyens de survivre et de procréer. Ces « progrès » se retournent contre l’Homme, détériorant son patrimoine héréditaire, ils compromettent l’avenir de l’espèce, à plus ou moins longue échéance.

La sélection naturelle intervient en tant que régulateur du génotype ; elle assure une fonction d’hygiène génétique. Quant à son rôle d’agent efficient de l’évolution, il n’est point sûr. En fait, si elle possédait à plein le pouvoir qu’on lui prête, elle stopperait l’évolution. Tous les non-porteurs du génotype ajusté au milieu seraient éliminés. En cas de changement du milieu, il n’y aurait aucun pré-adapté pour parer aux nouvelles conditions. En somme, la sélection naturelle n’est supportable pour une population qu’à condition de ne pas être trop sévère. Mais Monsieur de La Palisse ne parlait pas autrement.

L’évolution d’un groupe zoologique ou botanique n’est pas qu’une somme de parades à des agressions infligées à des populations (introduction d’une drogue, variation brutale et ample d’un paramètre physique …). Elle comporte l’acquisition de nouveautés, coordonnées entre elles et exactement ajustées aux parties anciennes de l’organisme. Elle est la marche de tout un groupe, animal ou végétal, vers une certaine forme, vers l’adoption d’un certain mode de vie.

La sélection pratiquée par l’homme (culture et domestication)

La culture des plantes utiles ou ornementales, la domestication des Oiseaux et des Mammifères constituent, à la perfection et en profondeur, un test de la mutabilité des espèces qu’elles concernent. Equivalent. elles, de ce fait, à une « tranche » d’évolution dirigée par l’Homme? Voilà la question.

Dans la flore de son entourage, l’Homme a choisi, isolé et favorisé, pour son usage personnel, quelques plantes parce qu’en elles, il trouve des qualités lui convenant : production élevée de graines, de fruits comestibles. Dans la faune, il fait de même pour quelques animaux qu’il choisit pour leur docilité, la quantité de viande qu’ils fournissent,…

Désireux d’obtenir davantage, l’Homme a tout entrepris pour accroître les qualités de ses plantes cultivées, de ses animaux domestiques. Dès le Néolithique, alors que naissaient la domestication et l’agriculture, il a pratiqué la sélection, dont il a découvert empiriquement l’efficacité.

La différence qui existe entre la sélection naturelle et la sélection artificielle concerne leurs fins respectives : la sélection naturelle opère pour le plus grand bien de l’espèce, la sélection artificielle pour le plus grand bien de l’Homme. Elles utilisent les mêmes matériaux, les mutations.

Dans la sélection artificielle, le choix des géniteurs est œuvre humaine, dans la sélection naturelle les plus aptes qui assurent la reproduction de l’espèce sont les échappés de la mort.

La sélection artificielle, pas plus que la sélection naturelle, ne crée rien par elle-même. Elle trie ce qui préexiste ou le rassemble (cas des gènes ou allèles multiples dispersés dans une population) dans des géniteurs. Elle a accru de la sorte la richesse butyrique du lait de vache, la teneur en saccharose des bette. raves sucrières, la longueur des fibres du cotonnier, la longueur et la finesse du poil laineux des moutons, etc. Plusieurs grandes mutations subies par le Chien, le Pigeon, le Bœuf, le Mouton, le Lapin, le Ver à soie, l’Abeille, le Blé, l’Orge, le Maïs, les arbres fruitiers, les Rosiers, les Antirrhinum, les Tabacs … ont été exploitées sur une vaste échelle. Les mutations incompatibles avec la vie sont éliminées, comme elles le sont dans les conditions naturelles ; mais l’Homme conserve des variations tératologiques ayant pour lui soit un caractère utilitaire (races acères de Moutons, Moutons ancons …), ou étranges (Chiens bouledogues, Chiens sans poils … Carassins dorés, voiles, télescopes …).

La domestication, si l’on s’en réfère à la doctrine darwinienne, se présente comme une évolution accélérée et dirigée par l’Homme. Accélérée, parce que d’emblée on conserve les mutants jugés profitables qui ainsi se trouvent avantagés par rapport au type sauvage. Ils correspondent aux porteurs du génotype privilégié de la sélection naturelle.

Les produits de la domestication s’écartent plus ou moins du type sauvage ; leur déviation confine parfois à la monstruosité. On voit mal comment les Chiens Bichons, Yorkshires, ou Pékinois, livrés à eux-mêmes se tireraient d’affaire dans la nature. Assurément, ils ne tiendraient pas longtemps dans les bois ou les champs de nos régions tempérées. Le Rat albinos, le Lapin angora albinos et combien d’autres animaux domestiques remis en liberté, en pleine campagne, crèveraient en quelques jours.

Souvent, la forme domestique ressemble à ses ancêtres sauvages. Par exemple, le Dindon de ferme diffère très peu de celui des forêts du Yucatan ou du Sud-ouest des États-Unis ; la Pintade domestique se confond, ou presque, avec celle qui vit, par bandes dans les savanes africaines. Ces deux Gallinacés ont beaucoup moins muté que la Poule. La domestication du Dindon est pourtant très ancienne, puisque les Mayas et les Aztèques l’élevaient autour de leurs villages (ils n’ont eu que deux animaux domestiques, le Chien et le Dindon). La haute mutabilité de la Poule est attestée par le grand nombre de ses races et de ses anomalies ; pourtant plusieurs races demeurent très proches de la souche ancestrale, elle-même subdivisée en 3 sous-espèces géographiques : Gallus gallus gallus des forêts birmanes ; Gallus gallus murghi du Kashmir méridional ; Gallus gallus bankiva de Java, Bali.

Parmi les très nombreuses races de Pigeons domestiques, il en est qui s’écartent beaucoup de leur ancêtre, le Biset (Columba livia) qui vit encore à l’état sauvage dans des sites rocheux ; tels les Pigeons boulants, paons, carneaux … alors que quelques-unes, le Pigeon voyageur en est un excellent exemple, en sont très voisines. Aucune barrière mixiologique ne sépare ces races, bien que certaines datent de plusieurs milliers d’années.

Le Chien est, vraisemblablement, le Mammifère le plus anciennement domestiqué, sans doute à cause de son penchant à prendre l’Homme pour compagnon social. Le Chien de Senckenberg (région de Francfort-sur-le-Main) dont les ossements, trouvés mêlés à ceux d’un Auroch, datent de 9 000 ans (évaluation faite grâce aux pollens qui les accompagnaient), était peut-être domestiqué. Plus tôt, à Jéricho (10 800 ± 180 ans, datation au C 14) et en Perse (grotte de Belt) (11 480 ans) -, vivaient des Chiens qui, selon toute vraisemblance, étaient domestiques. On présume que le Chien est devenu le commensal de l’Homme vers la fin des temps paléolithiques, lors de la dernière glaciation.

Les agriculteurs néolithiques en possédaient plusieurs races distinctes ; la plus commune était de taille au-dessous de la moyenne des Chiens actuels, une autre était plus petite encore et une troisième nettement plus forte.

Du Néolithique à l’âge de fer, quatre grandes races canines ont existé en Europe :

  • Canis familiaris inostranzewi, qui aurait donné les races du type eskimo sélectionnées pour la traction des traîneaux.
  • Canis f. matris-optimae d’où sortiraient nos Chiens de berger.
  • Canis f. intermedius, auquel on rattache diverses races, caniches, etc.
  • Canis f. palustris petit Chien des palaffites de qui dériveraient le Loulou de Poméranie, les Terriers …

Il est possible que les races des âges suivants n’aient pas toutes la même origine. Certains zoologistes assignent pour ancêtre aux Chiens nord-africains, le Chacal égyptien, Canis lupaster ; mais rien n’est moins sûr. Les Chiens pariahs (Canis familiaris indicus) qui, aux Indes, vivent librement à proximité des agglomérations urbaines, et leur allié, le Dingo d’Australie (Canis familiaris dingo), d’après des travaux récents, différaient peu de leurs ancêtres, souche des races domestiques. L’opinion d’après laquelle le Chien serait un Loup modifié conserve ses partisans, mais sur le plan zoologique, on peut lui opposer de forts arguments. Quant à l’origine des Lévriers, elle demeure obscure ; il est possible que cette race méditerranéenne sorte d’un Canis particulier, mais, par l’ensemble de ses caractères, elle paraît appartenir à l’espèce familiaris. Le Chien possède une gamme de races d’autant plus étendue que la sélection s’est exercée sur lui dans des directions variées, en fonction de la valeur esthétique Ou de l’étrangeté des sujets, ou de leurs aptitudes à la chasse, à la garde … Il a ainsi conservé de nombreuses mutations plus défavorables qu’utiles à l’espèce. Ses variations les plus importantes concernent la taille (King Charles, 0,750 kg, Dogue de Bordeaux ou Mastiff, 50 kg et plus), la forme du crâne (Bouledogues, Mopses à mâchoire supérieure raccourcie que dépasse la mandibule plus ou moins déformée), la longueur des membres, des oreilles, la couleur, la longueur, voire "absence des poils … Toutes ces races, si disparates soient-elles, se métissent sans rien perdre de leur fécondité. Elles sont moins séparées que les races géographiques de certaines espèces sauvages ; par exemple, celles de la Grenouille nord-américaine, Rana pipiens, les œufs de la race peuplant la Nouvelle-Angleterre fécondés par du sperme de la race Floride donnent des embryons abortifs ou des têtards anormaux (Moore, 1946, 1949) ou la Drosophila paulistarum (Dobzhansky, 1962) qui se rencontre de Sâo Paulo au Mexique. Bien entendu, l’inégalité de taille s’oppose parfois au croisement interracial ; par exemple, un Dogue de Bordeaux ne peut saillir une chienne King Charles et inversement.

De tout cela, il ressort clairement que les Chiens, sélectionnés et maintenus par l’Homme à l’état domestique, ne sortent pas du cadre de l’espèce. Les animaux domestiques marrons (animaux redevenus sauvages) perdent les caractères imputables aux mutations et, assez vite, recouvrent le type sauvage, originel. Ils se débarrassent des caractères sélectionnés par l’Homme. Ce qui montre, ce que nous savions, que les sélections artificielle et naturelle ne travaillent pas dans le même sens.

Les Lapins de clapier, que le gouverneur Philipp introduisit en 1788 en Australie, ont trouvé dans ce continent un milieu propice à leur pullulation ; on les compte par centaines de millions. Le fait, qui importe ici, est qu’ils ressemblent, à s’y méprendre, à nos Lapins de garenne.

Les Chèvres sauvages de l’île Juan Fernandez sont d’un type banal. En Amérique du Nord, les Chevaux redevenus sauvages ou semi-libres ont conservé quelques traits de leurs races respectives : haute taille, robe diversicolore, massif facial à profil busqué.

Le Furet (Putorius putorius turc) ne se maintient pas dans la nature ; les nombreux sujets qui se sont évadés n’ont pas fait souche. Jusqu’ici, d’ailleurs, dans aucune population animale naturelle, on n’a vu un mutant albinos l’emporter sur le type normal.

Les Chiens eskimos marrons maintiennent le type de leurs ancêtres qui étaient parfaitement adaptés au climat arctique. Dans ce cas, la sélection artificielle s’est opérée dans le même sens que la sélection naturelle à laquelle elle s’est substituée ; rien d’étonnant si la race persiste en dehors de l’influence humaine. Ce que la génétique enseigne permet de dire que les populations à hétérozygotes, dans le milieu naturel, perdent les allèles des gènes « forme sauvage » du fait de la ségrégation des caractères (lois de Mendel) et de la dérive génique subséquente, ainsi que de la sélection qui s’exerce sur eux (élimination des génotypes à caractères mutés, défavorables dans la nature). S’ils sont homozygotes pour leurs caractères raciaux, l’alternative est triple : ou ils subsistent tels quels ou ils meurent, incapables de supporter la vie libre, ou ils subissent des mutations reverses, éventualité qui n’est pas fréquente et les ramène à leur état antérieur.

De telles mutations ont été observées chez Escherichia coli par Lederberg et Tatum (1946) : à partir de cultures de mutants incapables de synthétiser, par exemple, des acides aminés, la thréonine, la leucine et une vitamine, la thiamine, sont apparus, avec une fréquence de 10 à 6 à 10-8, des Bacilles coliques capables d’effectuer la synthèse de cette substance. On distingue chez Escherichia coli deux sortes de mutations, celles qui concernent directement le gène (même locus dans la molécule d’ADN) et celles qui sont dues à l’intervention de gènes suppresseurs siégeant en un autre point de la molécule.

La diversité des races d’animaux domestiques, des plantes cultivées et leur nombre sont accrus par le métissage dont éleveurs et agriculteurs usent beaucoup ; la combinaison de caractères par l’hybridation et la sélection accroissent le nombre des génotypes, la variabilité de l’espèce.

Les manifestations auxquelles on soumet le stock génique modifient d’ailleurs bien plus les apparences que les structures fondamentales et les fonctions. La sélection artificielle, malgré son intense pression (élimination de tout géniteur qui ne répond pas aux critères du choix), ne parvient pas, après des pratiques millénaires, à faire naître de nouvelles espèces. L’étude comparée des sérums, des hémoglobines, des protéines du sang, de l’interfécondité, etc., atteste que les races demeurent dans le même cadre spécifique. Il ne s’agit pas d’une opinion, d’un classement subjectif, mais d’une réalité mesurable. C’est que la sélection concrétise, rassemble les variétés dont un génome est capable, mais ne représente pas un processus évolutif novateur. Dix mille ans de mutations, de métissage, de sélection ont brassé de bien des façons le patrimoine de l’espèce Chien sans lui faire perdre son unité chimique et cytologique. On constate le même fait pour tous les autres animaux domestiques : le Bœuf (au moins 4 000 ans), la Poule (au moins 4 000 ans), le Mouton (6 000 ans)…

L’expérience domestication-sélection n’aboutit pas, malgré l’ampleur des variations, dont plusieurs sont à la limite du monstrueux, à la création d’espèces nouvelles. Les races ne s’isolent pas et peuvent s’hybrider sans perte ou baisse de fécondité. La domestication et la culture révèlent les limites, assez étroites, entre lesquelles l’espèce varie sans courir de périls, mais elles n’impriment pas un mouvement évolutif aux espèces qu’elles concernent.

La sélection naturelle conserve les individus qui se trouvent physiologiquement en équilibre avec le milieu ; elle maintient de la sorte un certain type spécifique. La sélection que pratique l’Homme a un tout autre effet.

Un exemple suffit à le démontrer : les génotypes d’un Chien (Canis familiaris) et d’un Chacal (Canis aureus) sont voisins l’un de l’autre et subissent à quelques différences près les mêmes mutations. Or, l’espèce Chacal se montre très stable, tandis que l’espèce Chien se divise en nombreuses races et sous-races. La première est soumise à la sélection naturelle qui élimine les variants et stabilise l’espèce, la seconde à la sélection artificielle qui conserve les « anormaux » et en facilite la survie.

Erreurs ou impuissances de la sélection

Nous avons déjà signalé que l’hypertélie, en exagérant à l’extrême certains caractères, déséquilibre l’anatomie et les fonctions de l’être vivant au point de faire courir à l’espèce un réel danger d’extinction. Les formes terminales des lignées hypertéliques sont, quelle que soit l’interprétation qu’on en donne, le fait d’une longue évolution, au cours de laquelle, la sélection (dont pour le moment nous admettons le rôle actif dans le processus) n’aurait cessé d’agir et toujours dans le même sens.

Mais, hors de la grande hypertélie, on découvre, pour peu qu’on soit naturaliste, une foule de caractères qui, au lieu d’être profitables à l’individu, lui sont nuisibles. Ainsi, le Cerf possède une ramure si exubérante pour un animal forestier que le poète a pu écrire :

Son bois, dommageable ornement,
L’arrêtant à chaque moment,
Nuit à l’office que lui rendent
Ses pieds de qui ses jours dépendent.

(LA FONTAINE, Fables, VI, 9.)

La vitesse ne sert guère à l’herbivore car surpris au gagnage ou au gîte, il est assailli avant d’avoir pu s’enfuir. Son pire ennemi, c’est lui-même. En voici la preuve : les Cervidés et les Bovidés au cours d’une évolution qui a duré des millions d’années ont acquis des glandes cutanées dont les secreta odorants marquent le territoire, les passages du troupeau, révèlent la présence des mâles. Les organes marqueurs les plus spécialisés sont les larmiers, fentes sous-orbitaires dans lesquelles s’écoule la sécrétion des glandes pré-orbitaires.

De notre point de vue les plus intéressantes sont les glandes tégumentaires des pattes, qualifiées, selon leurs emplacements de glandes carpiennes, tarsiennes, métatarsiennes, interdigitales. Leurs produits de sécrétion, onctueux et parfumés, créent une piste odorante et passablement durable qu’utilisent les membres des troupeaux pour se retrouver entre eux, reconnaître leur territoire ; mais ils servent aussi aux grands fauves (Loups, Chiens sauvages, Félins), tous macrosmatiques, à découvrir leurs proies qui, stupidement, se livrent à eux.

Les Ruminants ont subi une double évolution ; l’une les a rendus plus rapides (modification des membres, proportions relatives des segments osseux, sabots …), l’autre qui concerne les rapports sociaux ou sexuels et les signaux chimiques, les rend plus vulnérables aux coups des prédateurs. Ces deux évolutions paraissent avoir été synchrones et impliquent une sélection opérant dans deux directions distinctes. Ajoutons que les mâles des Caprins (glandes sub-caudales, glandes infracaudales de l’extrémité de la queue), du Cerf (Cervus elaphus), des Béliers (Ovis aries), du Lama, etc., émettent un puissant fumet qui signale de très loin leur présence et alerte leurs ennemis.

Dans une perspective logique, c’est-à-dire anthropomorphique, une sélection favorable aux herbivores aurait dû les rendre inodores, afin que les grands fauves macrosmatiques ne puissent les repérer. L’évolution a été tout autre et les herbivores n’en sont point morts.
Les « aberrations » sélectives sont fréquentes ; en voici un autre exemple : les Galagos appliquent leurs mains souillées d’urine sur leurs supports et ainsi signalent leur présence à leurs congénères, ce qui s’explique, étant donné les particularités sociales de ces Lémuriens, mais les signalent aussi aux prédateurs, par exemple à des Viverridés arboricoles (Poaina, Genettes …).

Les Rats noirs (Rattus rattus) ponctuent leurs pistes familières de gouttelettes d’urine, ce qui permet aux Chiens ratiers de les trouver rapidement, etc. Ce serait le cas de dire : « On ne saurait penser à tout. » Si la sélection a conservé ces « aberrations », on doit dresser un constat d’erreur. Mais notre raisonnement manque de subtilité ; un darwinien nous rétorque qu’entre deux périls : difficulté de la conjonction des sexes et attaque des prédateurs, la sélection a agi à l’avantage du premier. Nous n’en penserons pas moins que la solution choisie est médiocre et rend l’espèce très vulnérable.

On ne voit pas comment certaines structures tiendraient leurs singularités de la sélection. Le Coelacanthe (Latimeria), authentique relique de la faune permo-triasique, est riche en caractères paradoxaux, si inattendus et si imprévisibles que le génie de Cuvier n’aurait pu déduire leur existence du simple examen du squelette. Le poumon est une masse adipeuse attachée à la face ventrale de l’œsophage. Les reins, en partie post-cloacaux, et la grande chaîne sympathique ont abandonné la région dorsale et reposent sur le plancher ventral de l’abdomen. Le cerveau minuscule est entouré d’un épais tissu adipeux qui emplit la vaste cavité crânienne. Les œufs, gros comme des oranges, sont privés de coque et dépassent en volume ceux des plus grands squales ovipares ! On ne voit absolument pas quel rôle a pu jouer la sélection dans l’établissement et la conservation de ces caractères paradoxaux.

La sélection naturelle ou la finalité en action

Les darwiniens, suivant en cela le père de leur doctrine, axent l’évolution sur la persistance des plus aptes, c’est-à-dire de ceux qui sont le mieux nantis et portent des caractères compatibles avec la vie dans un milieu donné. Assigner, à l’évolution, la sélection naturelle comme agent efficient c’est, implicitement et explicitement, donner un sens, une fil à celle-ci. Quand les darwiniens soutiennent que la finalité observée dans les phénomènes biologiques n’est qu’une illusion, qu’une fausse apparence, ils oublient, ou méconnaissent, le fondement même de leur interprétation de la nature, fondement lourd de conséquences philosophiques. En faisant de la sélection le moteur de l’évolution des plus aptes, ils confèrent une finalité inhérente à tout être vivant, finalité qui devient la loi suprême de l’individu, de la population, de l’espèce. En vérité, la doctrine darwinienne n’a pas encore été soumise à un examen critique approfondi.

Dire que la sélection naturelle n’est pas intentionnelle, puisqu’on ne voit « rien » ni « personne » la dirigeant, n’est pas une objection recevable. En effet, si la sélection est sans intention, elle est donc aléatoire. Les darwiniens et leurs disciples biomolécularistes font appel à elle pour utiliser des matériaux fortuits au profit de l’espèce, elle est donc trieuse et orienteuse. Drôle d’attitude intellectuelle qui consisterait à supprimer un hasard par un autre hasard. Mais on peut être formel, la sélection n’est pas un phénomène aléatoire. Elle est de par sa nature même un phénomène téléologique.

Comme on ne voit personne la conduire, les darwiniens estiment que cela suffit pour la déclarer non intentionnelle. Erreur philosophique gravissime et proprement anthropomorphique ; puisque la doctrine darwinienne consiste à en faire une entité agissante et transcendante.

Comment, après cela, parler de pseudotéléologie, de téléonomie (terme qui étymologiquement signifie les lois de la fin). À la finalité de fait ou finalité immanente, les darwiniens surajoutent une finalité d’un ordre supérieur, inhérente à la vie et constamment agissante : dans la biosphère, elle se présente avec les caractères d’une finalité transcendante. Aucun système biologique ou philosophique n’a été plus loin dans la finalisation des êtres vivants.

L’acte sélectif est inséparable d’une fin, qu’il soit dirigé par l’Homme dans le cas de la sélection artificielle, ou qu’il ait la mort - la mort qui ne frappe pas au hasard, tout au contraire - pour agent efficient dans celui de la sélection naturelle.

Finaliser la vie, telle est dans la réalité, la fonction même de la sélection.

Lamarck attribue à l’organisme lui-même la faculté d’être son propre« adaptateur » au milieu extérieur. Ici encore nous nous trouvons en présence d’une interprétation qui fait appel à un mécanisme finalisateur. Lorsqu’on pénètre dans le vivant, il faut s’y résoudre, la finalité immanente se montre à peu près dans toutes les structures ou fonctions et les systèmes régulateurs, sélection naturelle, faculté d’auto-adaptation y apparaissent comme étant les agents d’une finalité de type transcendant.

L’éradication de la finalité en biologie est une vaine entreprise ; vaine parce qu’elle se fait contre la réalité et que ceux qui la tentent s’inspirent de théories ou de thèses philosophiques qui méconnaissent les faits.

Conclusion

Dans la nature, la sélection exerce son action sur les espèces en éliminant le « pire », les tarés, les infirmes … c’est là son principal effet.

La compétition interspécifique joue un rôle dans la répartition spatiale des populations et des espèces. Elle intervient dans certaines évictions et limite le nombre des espèces sympatriques. Il s’agit généralement d’équilibres locaux ; l’issue de la lutte n’est point la même partout ; ici l’espèce est rejetée d’un biotope, là elle est victorieuse et prospère. En conséquence, les espèces sont d’autant plus menacées dans leur existence, qu’elles habitent un territoire plus restreint. Les faunes des îles de petite dimension sont très sensibles aux introductions d’espèces étrangères. Les Oiseaux aptères (Ralidés, Columbiformes) qui prospéraient dans les archipels de l’océan Indien avant que l’Homme les peuplât n’ont pas tenu devant les prédateurs venus d’Europe. Mais, l’Homme a tant massacré les espèces insulaires qu’il est difficile d’apprécier la part qui, dans la destruction, revient aux autres prédateurs. Les faits se rapportant de près ou de loin à la sélection concernent bien plus le peuplement de notre planète que l’évolution biologique. Confondre les deux, c’est commettre une erreur. La prétendue « évolution en action » de J. Huxley et autres biologistes n’est que la constatation de faits démographiques, de fluctuations locales des génotypes, de répartitions géographiques. Souvent, il s’agit d’espèces qui n’ont pratiquement pas changé depuis des millions de siècles! Fluctuation en fonction des circonstances avec modification préalable du génome n’implique pas évolution et de cela nous avons la preuve tangible donnée par nombre d’espèces panchroniques : Blattes, Collemboles poduriformes, Hyracoïdes, Bactéries, etc.

Les différences géniques relevées entre les populations séparées d’une même espèce que l’on donne, si souvent, comme la preuve d’une évolution en marche relèvent avant tout de l’ajustement des populations à leur habitat et des effets de la dérive génique. La Drosopbile (Drosophila melanogaster), Insecte favori des généticiens, dont nous connaissons précisément les génotypes géographiques, biotopiques, urbains et citadins, ne paraît pas avoir changé depuis des temps très reculés.

de Pierre-Paul Grassé dans L’Evolution du vivant, Albin Michel, 1973 (Chapitre V, p183-219)

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